jeudi 30 octobre 2014

L'attaque des Titans














Hajime Isayama L'attaque des Titans. - Pika, 2013-.... (10 volumes parus).

Imaginez les époux Balkany, mais plus nombreux, plus grands (dans les 15 m) et cannibales : que faites-vous ? Probablement pas mieux que l'humanité - du moins ce qu'il en reste - retranchée depuis cent ans derrière la triple enceinte d'une gigantesque muraille pour se soustraire à une horde de grands benêts affamés. On pourrait certes en rester là, se contenter de gérer le statu quo. Eh bien non ! Car survient un nouveau spécimen de Titan, plus haut que le mur, manifestement doué d'intelligence et donc capable d'ouvrir la porte à ses petits cousins. Cette catastrophe scellera le destin de trois jeunes amis dont l'un, le bouillant Eren Jäger s'avère bientôt capable de se changer lui-même en Titan, et pas des moins teigneux.
Amateurs de nymphettes court-vêtues, passez votre chemin ! L'attaque des Titans cultive davantage le sens du sacrifice et le cadavre tronçonné que la petite culotte à pois. Parmi des centaines de séries stéréotypées, le shônen - ce sous-genre du manga spécifiquement destiné à combattre l'acné chez les garçons -  s'avère donc encore capable d'offrir des histoires d'un intérêt soutenu, en tout cas d'une belle originalité. Bien qu'un peu desservie par un dessin encore assez brut de décoffrage, en voici une qui ne faiblit à aucun moment des 10 tomes déjà parus et garde de bout en bout ce souffle épique et réellement désespéré qui exaltera le gothique qui sommeille en chacun de nous, tout en inscrivant quelques centaines de nouvelles pages à la grande encyclopédie des plus belles dystopies de ce siècle mal barré.

mardi 21 octobre 2014

Saga




















Brian K. Vaughan et Fiona Staples Saga. - Urban comics, 2013-.... (3 tomes parus)

Une Ailée aimait un Cornu... De ces quelques mots, l'on pourrait déjà déduire que ça n'ira pas tout seul. Car les deux races, à l'instar des Capulet et des Montaigu, se font une guerre tant interstellaire qu'immémoriale, au milieu de laquelle l'improbable bébé d'Alana et Marko vient jeter comme un froid. Ajoutons-y quelques tueurs plus ou moins impitoyables, le fantôme d'une ado moins diminuée qu'elle en a l'air, des aristos à tête de téléviseur vintage, la puissance insoupçonnée d'un roman de gare... et l'on n'aura pas encore tous les ingrédients d'une Saga qui réserve bien d'autres surprises. A commencer par des dialogues où chaque mot fait mouche, affinés en cave à l'école des séries télé, soutenus par un graphisme impeccable d'élégance et dont il faut souligner l'étonnante économie de moyens, quand tant d'autres comics se plaisent à cultiver un superlatif somme toute assez déprimant.
D'aucuns jugeront un peu réchauffée cette alliance contre nature de Shakespeare et de Star Wars. Mais se privera-t-on de Chandler parce que l'on a Sophocle ? Ce serait oublier que même les meilleures soupes ont besoin de varier de temps en temps. L'art du scénariste est précisément celui de la variation, de ce rhabillage permanent des quelques thèmes universels qui font le socle de tous nos récits. A ce jeu, Brian K. Vaughan s'avère un couturier de premier ordre, toujours surprenant, presque charmant. De ce charme qui aimante prix et récompenses, dont cette série, issue du vivier Image Comics (le HBO du néo-comics) s'est très vite et très évidemment retrouvée aussi chamarrée qu'un maréchal d'Empire en période de noël.

lundi 20 octobre 2014

L'humanaute



















 
Philippe Coudray L'humanaute. - L'association, 2013

Finirai-je un jour par ne plus confondre les frères Coudray ? Voyons... il y a Jean-Luc. Lui, c'est celui qui écrit. Le Mouton Marcel, c'est lui. Monsieur Mouche, Dialogues avec Satan... Et Philippe, c'est celui qui dessine, L'ours Barnabé, notamment, qui l'a fait connaître du grand public et des cours d'école. Là, où ça se complique, c'est que Jean-Luc dessine, lui aussi, enfin un peu, pour faire dialoguer Béret et Casquette et parfois, il collabore avec son frère qui, que... bref, quoi qu'il en soit, les deux frères partagent un même goût pour une logique poussée dans ses derniers retranchements, jusqu'à l'absurde si nécessaire. L'humanaute ne déroge pas à ce sain principe, au fil bien affûté d'une série de gags en une ou deux planches, comme autant de théorèmes dont la démonstration s'avérait nécessaire pour l'avancement de la science : le personnage a-t-il décidé de tuer sa femme ? Il s'enferme dans un congélateur pour n'en sortir que cent ans plus tard et visiter la tombe de son épouse... L'évidence, chez Philippe Coudray, jaillit toujours au terme d'un improbable détour qui, prenant la logique à contre-pied, revient dans son dos lui faire coucou. Même esprit de conséquence cultivé jusqu'à la manie, même dessin sans séduction, entièrement dédié à rendre lisible un humour souvent purement visuel... rien qui, dira-t-on, nous change fondamentalement de L'ours Barnabé, si ce n'est que Philippe Coudray agrémente ici ses ruses de quelques coquineries dont rougirait vraisemblablement le plantigrade. D'où le choix d'un éditeur "adultes" et l'emploi du noir et blanc. CQFD.

mardi 14 octobre 2014

Vois comme ton ombre s'allonge




















Gipi Vois comme ton ombre s'allonge. - Futuropolis, 2014.

D'aucuns, la cinquantaine venue, s'enfuient avec leur secrétaire. D'autres font un choix moins radical et se contentent de publier un nouveau livre. Partisan de la sublimation, Gipi projette un écrivain vieillissant dans les affres d'une subite schizophrénie qui le laisse aux mains d'un quarteron de psychiatres bien moins réels que les univers qui le hantent. Abandonné par sa femme, méprisé par sa fille, Silvano Landi se raccroche à ce qu'il peut, à commencer par les lettres lumineuses que, du fond des tranchées, son grand-père écrivait à sa jeune épouse. Jusqu'à ce jour où, envoyé en reconnaissance, il reste bloqué dans le no man's land avec un camarade blessé dont les plaintes sont susceptibles de les trahir à tout moment. A quel prix peut-on traverser l'horreur pour rejoindre l'amour et la lumière ? L'image d'un arbre mort, répétée, compulsive, pourrait bien servir de réponse, comme une métaphore généalogique de la dévastation ou bien comme une façon d'approcher de biais une réalité qui se dérobe, parce qu'inacceptable.
Alternant dessin au trait et ce très beau travail à l'aquarelle qui l'a fait connaître en France dès Notes pour une histoire de guerre et Les innocents (Actes sud, 2005), Gipi s'affirme une fois de plus avec ce nouvel album comme l'un des auteurs les plus doués d'une bande dessinée italienne que l'on avait laissée pour morte entre les mains moites de Milo Manara.

mercredi 8 octobre 2014

Les filles n'ont pas de banane




















Copi Les filles n'ont pas de banane. - Olivius, 2014.

La vie ne tient qu'à un fil, dit-on. Mais ce fil, qui le tient ? Copi n'est pas revenu nous le dire depuis sa mort, en 1987, mais il se pourrait bien qu'il pende au bout d'un crayon. Preuve que la vie et le trait ont quelque chose en commun. Une même facilité à s'embrouiller, peut-être, à se dévider, se dérouler, se nouer, s'entortiller pour que naissent, se transforment et disparaissent ces fragiles figures de l'existence que nous reconnaissons comme nôtres. A l'image de cette étrange créature mi-nez mi-femme, assise sur la même chaise depuis 1964, apparue dans les pages du Nouvel Observateur, revue plus tard dans Charlie et Hara-Kiri et qui profite de cette position stable pour philosopher en compagnie des poulets et des canards. Copi se serait-il plu en philosophe, lui dont le théâtre débridé et transgressif préférait le bordel à Claudel ? Ils ont pourtant bien quelque chose de socratique, ces dialogues dont l'extrême dérision confine au déchirement, presque toujours sans chute, sinon dans le vide et le silence. Un silence où, si l'on tend bien l'oreille, résonne encore longtemps le rire argentin de Copi.
Louons donc Cornélius et les Editions de l'Olivier (réunis sous le label Olivius) de nous le donner à ré-entendre, en attendant un très prochain second tome, qui s'annonce beaucoup plus débridé...

jeudi 2 octobre 2014

Macanudo



















Liniers Macanudo. - La Pastèque, 2008-.... 

L'art du strip, ce haïku de la bande dessinée, ne serait-il plus pratiqué qu'au bout du monde ? Liniers est Argentin. Serait-il Patagon que l'on n'en serait pas étonné, tant il se plaît à cultiver l'absurdité sur tous les degrés de l'échelle de Carroll. Publiées depuis 2002 dans les pages de La Nacion et peuplées de pingouins, de robots sentimentaux, de lutins et de tout un tas d'autres choses indéfinissables, ses "historiettes", comme il se plaît à les nommer, lui sont chaque jour l'occasion d'exercer son âme, comme d'autres exercent leur œil ou leur griffe. Aussi ne parlera-t-on pas, dans son cas, d'une "mécanique du gag", mais bien plutôt d'une forme de douce attente de ce qui n'était pas prévu. Car l'art de Liniers est essentiellement contemplatif, souvent fait de ces toutes petites choses, parfois si évidentes et familières qu'elles ont l'air d'avoir toujours été là, sous nos yeux qui ne savaient pas les voir. On les reconnaît alors et le monde, un instant tout illuminé, en paraît soudain plus vrai, peut-être même un peu plus beau. Bien sûr, il y a parfois des jours sans, des jours où rien ne vient. Liniers, alors, ne craint pas de l'avouer et, d'une pirouette légère, rebondit vers le gag du lendemain. Ainsi, par le jeu d'une complicité toujours renouvelée avec le lecteur, Macanudo prend-il l'allure d'une sorte de journal dialogué où seraient quotidiennement consignés aphorismes, humeurs, pensées et anecdotes, incarnés et joués par une foule de personnages qui sont autant de voix pour un auteur unique. Un auteur, un dessinateur qui, pour avoir su s'affranchir de filiations évidentes (on pense à Gary Larson, à Bill Watterson, à Quino...), tient désormais son rang parmi les très rares que l'on voudrait remercier d'exister.