samedi 22 novembre 2014

La scierie


















La scierie. - Héros-Limite, 2013

Au début des années 50, dans les environs de Blois, un jeune bourgeois, recalé au bachot, doit trouver du travail en attendant le service militaire. Il en trouve, dans une scierie dont les ouvriers, bien évidemment, le voient venir d'un œil narquois. Piqué au vif, il n'aura de cesse de leur prouver qu'il peut les égaler et même les dépasser.
Voilà un texte qui, à l'origine, n'était pas destiné à être publié et son auteur, qui a voulu rester anonyme, n'a sans doute jamais rien écrit d'autre. Pierre Gripari, qui le fit publier une première fois à  L'Âge d'homme en 1975, jure qu'il n'y est pour rien et l'on voudra bien le croire tant ce récit, tout en sécheresse et dépouillé du moindre artifice littéraire, reste infiniment plus proche du document brut que du roman. C'est là, d'ailleurs, qu'il puise toute sa force car, disons-le d'emblée, le narrateur de cette histoire n'a rien de particulièrement sympathique. Plutôt méchant, même, en tout cas d'une franchise et d'une dureté exempte de toute compassion pour les faibles au point, dit-il, d'être capable de tuer "sans hésitation un type qui m'a assez fait chier pour mériter ça". Cette dureté, de son propre aveu, ne lui est pas native : c'est le travail qui l'a forgée, un travail dur, exténuant et dangereux, où la moindre inattention, le moindre relâchement peut s'avérer mortel. Tout en phrases courtes et raclées jusqu'à l'os, ce texte revêche n'en est pas moins doué d'un étonnant pouvoir de fascination, de celles que l'on éprouve devant une vie poussée jusqu'à ses plus extrêmes limites, jusqu'à l'épuisement  et d'où semble jaillir - mais c'est peut-être une erreur - une lumière un peu plus vive que celle de nos existences étriquées.
Quoi qu'il en soit, il fallait rééditer La scierie, et les éditions Héros-Limite, comme à leur habitude, le font avec brio, dans un habillage à la fois sobre et luxueux dont on soulignera la belle tenue typographique, véritablement Swiss made...