mardi 2 février 2016

Le Soleil / Capitale





















Capitale / Frans Masereel. – Ed. du Ravin bleu, 2015
Le soleil / Frans Masereel. – Ed . du Ravin bleu, 2015

Maintenant qu’il est de bon ton de faire un « roman graphique » de n’importe quelle BD pourvu qu’elle dépasse les 48 pages réglementaires de l’album franco-belge, peut-être est-il nécessaire de rappeler ce que fut réellement ledit roman, qui doit peu de choses à Georges Rémi et tout à Frans Masereel. Un autre Belge, donc, né à Blankenberge en 1889 et mort au soleil en 1972, proche de George Grosz et des artistes allemands de la Nouvelle Objectivité, mouvement artistique global qui succéda, dans les années 20, aux Expressionnistes décimés par la guerre. Maître de la gravure sur bois, il est le véritable inventeur de ces « romans sans paroles », suites d’images gravées dont les plus connues, Mon livre d’heures ou Passion d’un homme, sont à l’origine de tout un courant militant, entre art et « agit-prop », où s’illustreront des artistes majeurs comme Lynn Ward et Otto Nückel. Les Editions du Ravin bleu ont aujourd’hui la bonne idée de (très bien) rééditer deux autres de ces livres, peut-être moins connus mais tout aussi importants que les précédents. Si Le Soleil reste proche de sa manière habituelle – course muette et éperdue vers la lumière d’un personnage dont on comprend qu’il est le double de l’auteur, Capitale, en revanche tranche à la fois par un graphisme plus proche d’un Grosz ou d’un Otto Dix et, surtout, par la profonde et jouissive ironie d’une contradiction permanente du texte et de l’image. Tandis que les légendes (rares chez Masereel), prétendent vanter les attraits de nos modernes capitales, les gravures en dévoilent les aspects les plus vils et corrupteurs, selon une économie narrative beaucoup plus proche de l’album dit « pour enfants » que de la bande dessinée proprement dite. Dont l’histoire et la tradition sont par ailleurs suffisamment riches pour qu’on ait le cran de l’appeler par son nom, gottferdom !

Pour aller plus loin :
David A. Beronä Le roman graphique : des origines aux années 1950. - Ed. de La Martinière, 2009.


Quand vous pensiez que j'étais mort




















Quand vous pensiez que j’étais mort / Matthieu Blanchin. – Futuropolis, 2014.

Depuis déjà bon nombre d’années que l’autobiographie s’invite dans la narration séquentielle, le récit médical finit par en constituer un secteur aussi peuplé qu’un service d’urgences un soir de Fête de la musique, au point que la Sécurité sociale, dit-on, en envisagerait le remboursement. Ainsi d’innombrables albums et « romans graphiques » ont-ils été déjà consacrés aux déboires sanitaires de leurs auteurs ou de leurs proches, depuis L’ascension du haut mal de David B, racontant la grave épilepsie de son frère et ses multiples répercussions familiales, jusqu’au récent Carnet de santé foireuse, journal dessiné de Pozla, atteint de la maladie de Crohn. A la décharge de ces louables tentatives, il faut dire qu’elles placent la barre assez haut : il ne s’agit pas de raconter son dernier rhume. Mécanisme de compensation compréhensible de la part de gens dont la vie même se trouve atteinte à la racine ou bien simple nécessité d’apporter un témoignage « vu de l’intérieur », il n’est évidemment pas question de mettre en cause la démarche de tel ou tel auteur, surtout lorsqu’elle fait montre d’une aussi belle pénétration que celle de Matthieu Blanchin dans cet album. L’homme a de l’expérience (et pas trop de chance), qui fut d’ailleurs l’un des pionniers du genre avec Accident du travail (Ego comme x, 2001). Victime, cette fois, de tumeurs au cerveau qui le plongèrent plusieurs jours durant dans un coma profond et l’amenèrent aux limites extrêmes de la vie, c’est tout le ressenti d’un véritable revenant qu’il donne à voir, à travers un contexte familial compliqué de conséquences multiples mais aussi en essayant de rendre compte de toutes les nuances du « voyage intérieur », entre enfer et paradis, que fut cette épreuve, dont nul ne sort tout à fait le même. Matthieu Blanchin, lui, en est sorti, peut-être meilleur, peut-être plus heureux de vivre, en aucun cas méconnaissable et, surtout, presque 200 pages d’intelligence à l'appui, en rien diminué.