mardi 31 janvier 2017

Bonne continuation

















Bonne continuation / Olivier Tallec. – Rue de Sèvres, 2016.
 
« Je crois que nous perdons de l’altitude », dit le copilote au commandant de bord, tandis qu’un mouton s’accroche désespérément au cockpit.
Depuis quelques années, le dessin d’humour en France semblait connaître un destin assez semblable à celui de la minijupe en Iran : une brève envolée suivie d’une certaine raréfaction. C’est simple, ils n’étaient plus que quatre à nous faire rire : Sempé, Sempé, Sempé et Voutch. Ils seront désormais cinq, avec Olivier Tallec dans le rôle du pouce opposable. Illustre illustrateur jeunesse, ce dernier, c’est confirmé, se sent pousser le boyau de la rigolade pour les grands et, après nous avoir souhaité une Bonne journée en 2014, nous invite à poursuivre au moyen d’une nouvelle quarantaine de tableautins désopilants, composés selon les meilleures recettes anglo-saxonnes d’un art du décalage auquel le défunt Almanach Vermot ne nous avait guère habitués. En effet, l’humour d’Olivier Tallec a peu de choses à voir avec les histoires de pin-up et de pruneaux, et bien plus avec la joyeuse bande du New Yorker ou le toujours regretté Gary Larson : on y croise d’ailleurs un certain nombre de vaches et de girafes, animaux en eux-mêmes assez drôles et qui ne perdent rien à se retrouver croqués en couleurs vives par un dessinateur aussi rare. Rare dans tous les sens du terme, d’ailleurs : 2014 est déjà loin – pensez, c’était avant Charlie, avant le 13 novembre : on a failli attendre, donc, mais on en redemandera désormais, du moins tant qu’on aura le cœur à rire.

lundi 23 janvier 2017

Fred Deux : le for intérieur




















Fred Deux : le for intérieur. – Les cahiers dessinés, 2015.

Pour changer un peu de la bédé, Fred Deux fut l’un de ces artistes singuliers qui, loin des modes et du fracas des avant-gardes, n’ont cessé de tracer leur piste solitaire à travers le grand terrain vague de l’Expression. Né en 1924, dans un milieu très populaire, autodidacte, il connaît une véritable épiphanie à la fin des années 40 en découvrant par hasard l’œuvre de Paul Klee. Bouleversé par la révélation d’une liberté graphique qu’il n’avait encore jamais soupçonnée, il ne cessera dès lors de délivrer d’innombrables dessins proliférant en gigantesques entrelacs d’organes imprévus par la Faculté, luxuriantes fleurs cancéreuses tissées par une armée d’araignées folles ou grouillement halluciné de cités effervescentes découvertes au microscope… S’il est possible de la rattacher au Surréalisme tardif d’un Roberto Matta ou d’un Victor Brauner, qu’il approcha en effet un temps, l’œuvre de Fred Deux n’en figure pas moins le tracé unique et quasi sismique d’une âme profondément inquiète qui jamais ne cessa de se confronter au papier autant qu’elle s’y confia. Alors qu’une grande partie de son œuvre nous est surtout connue par les interprétations gravées qu’en fit Cécile Reims, sa compagne, ce fort numéro des Cahiers dessinés fait la part belle à un versant plus intime de son travail, à travers la collection du Musée Jenisch de Vevey, qui comprend notamment, outre de nombreux dessins, deux de ces « livres uniques » où Fred Deux serrait une bonne partie de ses écrits. Kaddisch (1980) et Rituel (1980) y sont ainsi détaillés page à page, entre dessins viscéraux d’une finesse hallucinante et textes fiévreux, à la lecture desquels on retrouvera la voix si particulière de l’extraordinaire écrivain que fut également Fred Deux (La Gana, publié en 1958 sous le pseudonyme de Jean Douassot). Un certain nombre d’essais, sous la direction de Laurence Schmidlin, achèvent enfin de faire de ce volume une excellente introduction à l’œuvre trop peu connue d’un artiste discret, dont la disparition, en 2015, n’aura malheureusement pas fait les gros titres.

Pour aller plus loin...

Le monde de Fred Deux. - LienArt, 2017
Paru récemment à l'occasion d'une vaste rétrospective au Musée des Beaux-Arts de Lyon, ce nouveau catalogue fait un point complet sur l’œuvre de Fred Deux, sans toutefois annuler le précédent. De toute façon, chaque nouveau livre sur FD est précieux.
Fred Deux, Cécile Reims : la ligne de partage. - Halle Saint Pierre, 2009.
Le catalogue, malheureusement épuisé, de la dernière grande exposition des deux artistes, dans leur dimension la plus osmotique... 







Jean Douassot La Gana. - E. Losfeld, 1970.
Très tôt reconnu comme écrivain sous le pseudonyme de Jean Douassot, Fred Deux est d'abord l'auteur de La Gana, autobiographie déchirante et l'un des sommets indépassables d'une littérature augmentée.
Fred Deux a en outre enregistré, de 1963 à 1994 et sur 132 cassettes ! une autobiographie parlée, intégralement disponible sur Gallica.

jeudi 5 janvier 2017

Super-héros : une histoire française




















Super-héros : une histoire française / Xavier Fournier. - Huginn & Muninn, 2014.

Il est de tradition de faire du super-héros un phénomène purement yankee dont l’origine remonterait au Superman de Jerry Siegel et Joe Shuster en 1938. Or, il n’en est rien : pour peu que l’on accepte une définition un peu large du vengeur hors-normes, le genre serait bien plus ancien et pourrait même bien avoir des racines principalement feuilletonnesques et françaises ! C’est en tout cas la thèse défendue par l’auteur de ce documentaire très complet qui, partant du Comte de Monte-Cristo, n’oublie pas un représentant du muscle national, du classique Rocambole au tout récent Garde Républicain, personnage de porte-drapeau un rien hallucinant mais pas tellement plus, si l’on y réfléchit, qu’un Captain America. Certes, la plupart de ces héros sont bien oubliés : qui se souvient du Nyctalope de Jean de La Hire ? De Fantax, du tandem Navarro et Mouchot, qui eut un fan-club de 10 000 membres ? Du splendide Atomas dessiné par René Pellos ? Ou bien, plus près de nous, de Super Boy, dont les aventures s’étalèrent pourtant sur plus de trente ans ? Loin de n’être qu’une copie servile de ses cousins d’Amérique, le super-héros français n’aurait donc pas grand-chose à leur envier, sinon d’avoir pu s’épanouir dans un milieu favorable. Car jamais nos surhommes n’affrontèrent super-vilain plus acharné à leur perte que la sinistre Commission de surveillance des publications destinées à la jeunesse, adossée à la fameuse loi de censure de 1949, d’ailleurs jamais abrogée… D’injonctions en procès, les éditeurs de « petits formats » (qui furent en somme l’équivalent français du comic book américain) n’eurent de cesse d’échapper aux rayons de la mort des défenseurs de la Sainte Famille, sans qu’il leur soit réellement possible de faire exister un univers complet, à la façon dont, aux USA, la petite maison Marvel finit par tirer son épingle du jeu et devenir l’empire que l’on sait. Hors quelques parodies célèbres comme Superdupont, l’histoire des super-héros français ne put donc jamais être autre chose qu’une longue suite de renaissances, portées par d’inlassables enthousiastes, dont l’acharnement à faire vivre un genre si généralement décrié par les pédagogues de tout poil confine lui-même au super-pouvoir et mériterait qu’on lui dédie la création d’un héros spécifique et 100% français, à l’enseigne de l’increvable Phénix.