lundi 26 mars 2018

De colère et d'ennui

















De colère et d'ennui : Paris, chronique de 1832, de Thoma Bouchet. - Anamosa, 2018

1832, année de révolte et de choléra. Pendant que l'épidémie fait des ravages, une insurrection républicaine secoue la capitale pendant trois jours que suivront des semaines de répression. En marge de ces événements, quatre femmes : Adélaïde, la bourgeoise, vit au jardin des plantes et donne à une amie de province des nouvelles de son quotidien protégé. Emilie, ardente saint-simonienne, désespère de faire entendre la voix des femmes dans ce concert masculin. Louise, marchande de quatre saisons, ruse avec la police qui la soupçonne d'avoir fait partie des insurgés. Lucie, enfin, jeune religieuse cloîtrée, meurt du choléra sans cesser d'entretenir un monologue mystique où se mêlent humeurs baveuses et transcendance.
Thomas Bouchet est historien, spécialiste du XIXe siècle. On lui doit notamment le remarqué Noms d'oiseaux : l'insulte en politique de la Restauration à nos jours (Stock, 2010). De Colère et d'ennui est son premier roman, issu de ses recherches sur cette année 1832, année-clef à bien des égards dans l'histoire de ce siècle qui n'en finit pas de commencer. Parfaitement documenté, il a toutefois les défauts de ses qualités, la redingote de l'historien ne cessant de reparaître sous la robe de chambre du romancier. Les lettres d'Adélaïde, en particulier, ont souvent des airs de miscellanées, d'accumulation de petits faits vrais qui ne suffisent pas complètement à faire un roman. De même, le procédé un peu artificiel qui consiste à isoler les réponses de Louise lors de ses interrogatoires ou à sortir les harangues d'Emilie de leur contexte peut agacer parfois. Seuls les monologues de Lucie, étranges et d'une intimité presque dérangeante, soutiennent un intérêt qui soit au-delà de la seule curiosité documentaire, malgré leur brièveté (elle meurt presque tout de suite). Et c'est bien là le paradoxe de ce premier roman un brin trop prometteur : trop court pour ne pas laisser quelque peu sur sa faim, il se lit néanmoins sans ennui, justement parce qu'il est court.

[texte paru dans Le Matricule des anges]

mercredi 14 mars 2018

Midwinter


















Midwinter, de Fiona Melrose. - Quai Voltaire, 2018

L'hiver est rude, cette année-là, dans cette campagne du Suffolk où faire vivre une ferme est de plus en plus difficile. Le fils et le père s'affrontent sur à peu près tout. Entre eux, la mort de Cecelia, la mère et l'épouse, assassinée en Zambie des années auparavant, lors d'une malheureuse tentative d'installation. Jeune homme en colère, Vale ne pardonne pas à son père d'avoir été la cause indirecte de ce meurtre, peut-être pour ne pas s'avouer la part involontaire que lui-même y a prise.Chacun leur tour, ils racontent cette histoire à leur façon, rageuse et suicidaire pour Vale et pleine de désarroi pour Landyn qui, depuis la mort de sa femme, met un point d'honneur à secourir les animaux les plus faibles sans bien savoir comment s'y prendre avec son propre fils. "On n'est pas hanté par ce qui nous fait peur, mais par ce qu'on désire", fait dire Fiona Melrose à l'un de ses personnages. Si la culpabilité les ronge, ils n'en cherchent pas moins l'apaisement, sans pouvoir le nommer. Qui le leur apportera ?  Tom, le "frère" infortuné de Vale, révélateur de ses démons, la jeune et lumineuse Beth ou bien Cecelia elle-même ? Depuis David Garnett, il semble d'usage en Angleterre de changer les femmes en renard. Elle-même d'origine sud-africaine, Fiona Melrose se plie aux usages locaux et charge une belle renarde solitaire de prendre soin de ces deux âmes en peine. Fantôme bienveillant et discret, elle n'intervient que par sa seule apparition aux moments opportuns du récit, lorsque décidément "devenus des versions insupportables (d'eux)-mêmes", ses hommes sont un peu trop près de se perdre. Ils ne se perdront pas. Les hivers les plus longs finissent un jour sur la promesse d'un nouveau printemps, tout comme celui-ci s'achève sur celle d'une réconciliation.
Si le Suffolk produit des poires, nul doute qu'elles soient à l'image de ce premier roman très réussi : âpres au premier abord, suivi d'une note prolongée de grande douceur.

[texte paru dans Le Matricule des anges]