dimanche 10 juin 2018

Peut-être ou La nuit de dimanche



















Peut-être ou La nuit de dimanche, de Jacques Roubaud. - Seuil, 2018

Né en 1932, Jacques Roubaud n'est pas précisément ce qu'on appelle un perdreau de l'année. poète, mathématicien, vrai ou faux romancier, traducteur des troubadours et membre éminent de l'OuLiPo, voici qu'il nous livre une "autobiographie romanesque". Que l'on n'ouvrira pas sans crainte de tomber, comme toujours avec les oulipiens, dans l'une de ces chausse-trappes textuelles qui fera durablement passer pour un niais celui qui ne l'aura pas aperçue tapie dans l'ombre d'une contrainte. Pour le coup, il semblerait que non. Certes, il ne fallait pas compter sur JR pour raconter sa life comme un vulgaire footballeur. À 85 ans, celui qui se définit (en anglais) comme : "(...) a mathematician, retired ; and a poet, not retired, but tired", a su néanmoins rester jouette (en belge). Et ce d'autant qu'il avoue son scepticisme au sujet de l'effort mémoriel à la Sartre ou Leiris, lesquels, selon lui, se la racontaient un peu. L'autobiographie n'est jamais qu'une forme de fiction, d'autant plus vaine qu'elle se prétend véridique. Pas dupe et toujours soucieux de la forme, Roubaud dispose donc tout un appareillage de fils conducteurs et de strates narratives, identifiés par différentes polices de caractère : "fragment romancé", contexte de ce fragment, mode "journal" accompagnant la composition du livre, etc. Mais qu'on ne s'y trompe pas : très conscient qu'une santé précaire rend infiniment incertain tout projet d'importance, JR batifole dans ses souvenirs plutôt qu'il n'arpente sa mémoire en géomètre. Au jour le jour ou presque, il rend un hommage par-ci, règle des comptes par-là (avec ce que l'on suppose être l'OuLiPo nouvelle manière), se fend d'un poème ou de considérations théoriques sur le vers libre... Au hasard, dirait-on, il musarde dans sa vie et cueille ce qu'il trouve, comme à la promenade. On redoutait un casse-tête, on revient avec un bouquet. Ce n'est peut-être pas plus mal.

[texte paru dans Le Matricule des anges]