dimanche 23 février 2020

Pour Luky


















Pour Luky, d'Aurélien Delsaux. - Noir sur blanc, 2019

Et pas que pour Luky, pour ses potes aussi : Abdoul, Diego et ledit Luky s'emmerdent à trois dans l'unique cité HLM d'un bourg de l'Isère. Avec constance et application, comme seuls des ados savent le faire, de balade en baignade et de palabre en poilade, ils s'emmerdent et leur portrait, peu à peu, se dessine : Diego, le dragueur un peu primaire, Abdoul, l'intello de la bande, sensible et un brin hésitant sur sa sexualité et puis, surtout, Luky, le plus torturé, qui prétend entendre des voix, en entend peut-être et ne s'en inquiète pas plus que de l'école ou de son avenir professionnel. Trois enfants comme les autres, donc, à la croisée des chemins plus ou moins tortueux qui mènent aux rencontres décisives. Pour Diego, ce seront les filles. Pour Abdoul ce sera monsieur Lesélieux, son prof de français, anagramme transparente de l'auteur. Pour Luky, ce sera une sorte de clochard céleste, mi-réel, mi-fantasmé qui, succédant au pépé décédé, saura lui aussi le "tirer par les mots" pour apostropher les étoiles et les attirer sur terre. 
Car les mots - leur conquête et leurs prestiges - sont au fond la grande affaire de ce livre tout en empathie. S'il souffre un peu de la comparaison obligatoire avec le Fief de David Lopez (Seuil, 2017) et si le parler "djeun's" sonne assez faux, parfois, prononcé comme une seconde langue par un prof en mal de copinage, il est tout aussi bien traversé de jolies trouvailles, au hasard d'une nuit qui, soudain, "collait à tout" ou bien d'un serpent endormi ("même son sommeil, ça sentait la menace").
Écrivain et comédien, Aurélien Delsaux est à cheval entre littérature générale (Sangliers, chez Albin Michel en 2017) et littérature jeunesse (Le grand ménage de madame Çavaçava, Albin itou). Cela s'appelle l'adolescence : paru chez l'éditeur idoine, Pour Luky ferait un excellent roman-miroir à l'usage des ados, écrits comme ils devraient tous l'être avec cette même grâce un peu rétive.

[texte par dans Le Matricule des anges]