Capitaine Trèfle / Hausman et Dubois. – Dupuis, 2015.
Pour avoir sauvé un lutin de pirates sanguinaires, le
vaillant capitaine Trèfle n’hésitera pas un instant à passer dans l’autre monde
pour secourir le Petit Peuple asservi par des mercantis, quitte à faire
alliance avec le Hollandais Volant lui-même – et sa fille si charmante aux
éternels dix-sept ans…
Du temps que les éditeurs jeunesse ne renâclaient pas sur
l’imparfait du subjonctif, un Pierre Dubois pouvait encore se permettre de ces
livres de haute graisse, richement emplumés de beaux vocables rares et de
patafiolantes tournures, toutes voiles gonflées du grand vent d’une syntaxe
aventureuse et savoureuse, et comme jaillie de l’un de ces grimoires dont
l’elficologue bien connu fait son ordinaire d’expert en farfadets. Grand
invocateur de lutins, de poulpiquets, de dracs et de tarasques, Pierre Dubois
n’a pas son pareil pour convoquer sous vos yeux les innombrables créatures qui
hantent les vastes greniers de la culture populaire. Ou plutôt, s’il a bien son
pareil, il n’en a qu’un, et c’est René Hausman, autre Ardennais, autre vieil
ogre débonnaire et compère de toujours puisque, au tournant des années 80,
c’était déjà lui qui illustrait pour L’ami
de poche (Casterman) les aventures de ce Capitaine Trèfle que les deux magiciens revisitent aujourd’hui sous
forme de bande dessinée. De même que l’on imagine mal Jules Verne sans Riou et
Bennett, on ne saurait envisager Dubois qu’enluminé de couleurs sourdes par les
aquarelles hirsutes et boisées de son compaing en rêveries et bières d’abbaye.
René Hausman, dont le talent unique fut récemment célébré par une très belle
monographie[1], a une manière de trousser
le korrigan qui – pour une fois – ne doit rien au grand ancêtre Arthur Rackham,
mais tout à l’Ardenne, ses forêts, ses feux automnaux et ses sentiers, qu’il ne
perd jamais tout à fait de vue, même quand il s’agit de prendre la mer. Si l’on
a pu préférer, autrefois, les fastes un peu moins émaciés du Crépuscule des elfes et de La forteresse de pierre, on ne boudera
cependant pas cette œuvre hivernale de vieux sangliers dont bien des marcassins
devraient envier la jeunesse de cœur.