vendredi 21 avril 2017

Kobane calling




















Kobane calling / Zerocalcare. – Cambourakis, 2016.
  
Autant prévenir tout de suite, on ne cherchera pas à démêler ici le sac de nœuds syrien : Le Monde diplomatique n’est pas fait pour les chiens et l’on n’aura pas la prétention d’une quelconque expertise sur le sujet. Zerocalcare non plus : parti presque en curieux faire un tour avec quelques copains dans les zones de guerre kurdes de Syrie et de Turquie, le bédéaste italien en rapporte plutôt les impressions d’un candide définitif que les certitudes d’un militant ou de l’un des ces innombrables « experts » pour talk-shaw télévisuel dont l’entartage se fait par ailleurs attendre. Il n’est pourtant jamais bien loin du cœur de l’action : dans un village du Rojava, à quelques centaines de mètres de Kobane occupée par Daech, dans les montagnes du Kurdistan turc alors qu’Erdoğan s’apprête à relancer une guerre qui dure maintenant depuis plus de 40 ans… Jamais bien loin, donc, mais toujours un petit peu à côté : c’est l’angle qu’il choisit d’adopter au long de ces 270 pages passionnantes et parfois déchirantes. Plus « gonzo » que Rambo, il ne cesse d’opposer son personnage d’indéracinable urbain, addict au portable, au plum-cake et à la pop culture à une réalité politique et historique qui n’en prend que plus de sens et de poids au fil des rencontres et des témoignages. Être Kurde en Turquie s’avère un métier plutôt rude et d’avenir incertain, c’est le moins qu’on puisse dire au récit des exactions commises par l’Etat et l’armée… Et pourtant, c’est bien un avenir que ces femmes et ces hommes ne cessent de s’inventer au bout de leurs kalachnikovs : un avenir fait de respect de l’autre et de dignité, d’égalité et d’ouverture au monde, bâti jour après jour avec une abnégation, un courage et une force d’âme qui laissent pantois le petit bourgeois que nous sommes bien malgré nous. Utopie ? Peut-être… Propagande ? Sûrement pas. Et Zerocalcare, qui ne craint pas d’évoquer ses doutes, n’est pas de ces idiots utiles qui purent naguère servir la soupe à Staline, à Pol-Pot ou à Mao et préfèrent maintenant renvoyer tout le monde dos à dos de peur de se tromper encore une fois. Mais pour avoir côtoyé, ne serait-ce que quelques jours, les combattantes et les combattants des montagnes kurdes, il a tout simplement, tout naturellement choisi son camp. Et nous avec.

Pour aller plus loin...

Pierre Bance Un autre futur pour le Kurdistan ? - Noir et rouge, 2017

Après avoir rappelé les fondamentaux du "Municipalisme libertaire" tel qu'énoncé par Murray Bookchin, l'auteur - docteur en droit, anarchiste et syndicaliste - l'étudie dans sa version kurde, sans éluder les difficultés qui se posent à une société en guerre, dominée par un parti, le PKK (ou le PYD dans sa version syrienne), passé presque sans transition de la rigidité marxiste-léniniste à l'anarchisme le plus avancé. Quoi qu'il en soit et quoi qu'il advienne, ce qui se passe actuellement au Rojava reste suffisamment passionnant et porteur d'espoir pour ouvrir des perspectives aux révolutionnaires du monde entier.

Zaynê Akyol Terre de roses (2017)

Documentariste canadienne d'origine kurde, Zaynê Akyol a suivi un détachement féminin du PKK, de l'entraînement jusqu'au combat en première ligne contre Daech. Elles sont belles, intelligentes, sensibles et redoutables : c'est peut-être trop beau pour être vrai, c'est peut-être à la limite de la propagande, mais qui prétendrait se passer de mythes ? Quitte à se faire bourrer le crâne, je préfère confier le mien à des amazones libertaires plutôt qu'à des égorgeurs fanatiques. Comme toutes les belles histoires, celle-ci finira peut-être dans un bain de sang... En attendant, on aura toujours la satisfaction de se dire qu'au moins quelques-unes en auront profité, auxquelles nul bonhomme ne viendra jamais plus faire la loi.

Mylène Sauloy Kurdistan, la guerre des filles (2017) (à voir ici en streaming)
Plus didactique que le précédent, un exposé sur la part majeure que prirent les femmes dans la lutte du peuple kurde dès la fondation du PKK en 1978, autour de Sakine Cansiz, grande figure de militante, assassinée à Paris en 2013.

Stefano Savona Carnets d'un combattant kurde. - JBA édition, 2006.

Un petit groupe de combattants du PKK remonde d'Irak vers les zones de guerre de la frontière turque. Articulé autour des carnets d'Akif, revenu d'Allemagne pour combattre aux côtés de son peuple, ce documentaire, plus ancien que les deux précédents, est assez révélateur des contradictions qui traversent le Parti au moment où il réalise sa transition, passant d'un marxisme-léninisme pur et dur à une idéologie libertaire pas toujours très bien comprise par la base : comment être libre dans le cadre d'une organisation militaire, dont  la rigidité - acceptée et assumée - est l'une des conditions mêmes de la survie ? Reste une série de beaux portraits de femmes et d'hommes dont certains n'ont connu que la guerre sans pour autant perdre leur humanité.

Vincent Gerber et Floréal Romero Murray Bookchin : pour une écologie sociale et radicale. - Le passager clandestin, 2014.

Pour une toute première approche de la pensée de Murray Bookchin (1921-2006), dont le "municipalisme libertaire" a inspiré l'actuel programme du PKK. S'il est parfois controversé parmi les anarchistes eux-mêmes, Murray Bookchin reste l'un des penseurs les plus stimulants et cohérents de l'"increvable anarchie", qui, dès les années 60, mettait l'écologie et une certaine forme de décroissance au cœur même de son projet global de société anticapitaliste.





lundi 3 avril 2017

Arbos Anima




















Arbos Anima / Kachou Hashimoto. – Glénat, 2016-…. – 3 vol. parus

19e siècle, quelque part en Asie du Sud-Est… Doué du pouvoir de « lire » les souvenirs des plantes à travers leurs racines, Noah Lescott est un prodigieux collecteur au service de la maison Diva, fleurs en tous genres. Mais la concurrence est rude, les méchants sans scrupules et les secrets de famille bien lourds à porter…
Pourquoi certains shônen restent-ils si séduisants passé 14 ans ? Dans le cas de cette nouvelle série de l’auteure de Cagaster, on conviendra que ce n’est pas le dessin, d’un classicisme efficace mais sans brio particulier. Certes, le pitch, d’un exotisme entre gothique et steampunk léger, y est sans doute pour quelque chose, surtout si l’on n’est pas allergique au pollen. Les personnages ? Entre le jeune Noah, élevé dans une serre jusqu’à l’âge de quinze ans, Rudyard, son garde du corps, ancien pirate rompu à toutes les disciplines qui laissent des bleus ou bien encore Eve, la blonde archère en quête de vengeance, ils ont bien sûr tout pour plaire, mais ne suffisent pas à eux seuls à justifier cet indéniable pouvoir d’attraction. Il faut chercher plus loin, plus haut, du côté, peut-être de ce plaisir de la répétition, de cet art infini de la variation qui fait du manga, selon l’école, soit l’héritier le plus direct du grand roman populaire du 19e siècle, soit le cousin germain de la branlette. D’après la première, au-delà des seules péripéties, on recherchera des structures, un rythme, des archétypes, toute une géométrie du récit que l’on retrouve, plus ou moins intacte ou subvertie, dans des contextes et selon des modalités innombrables. D’après la seconde, on conclura simplement que, quel que soit l’âge, il n’y a pas de mal à se faire du bien.