lundi 2 novembre 2015

Le Paradis perdu, de John Milton




















Le Paradis perdu, de John Milton / Pablo Auladell. – Actes sud – L’an 2, 2015.

Non contents de s’en aller batifoler aux Amériques avec les conséquences que l’on sait, les puritains anglais du XVIIe siècle ont encore produit quelques belles et terribles pages dont une incompréhensible timidité nous conduit pourtant assez rarement à faire notre lecture matinale. On a tort, car il faudra bien y venir et lire John Milton avant de mourir, le lire et le relire, de préférence à haute et intelligible voix, au sommet d’un pic escarpé, par exemple, ou bien au fond de quelque abîme dans lequel on aura peut-être l’heur de croiser Satan, véritable Héros de ce vaste poème biblique en douze chants, ange déchu, révolté contre l’Éternel et entraînant dans sa chute un bon tiers de ses collègues plus ou moins intéressés à la perte de l’homme, ce chouchou. Et si l’on n’ose encore aborder de front un texte vénérable qui inspira toute la génération romantique, peut-être pourra-t-on commencer par cette adaptation dessinée, fruit de plusieurs années du travail acharné de l’illustrateur espagnol Pablo Auladell, entreprise très exactement prométhéenne, plusieurs fois abandonnée puis reprise, jusqu’à obtention du chef d’œuvre que nous offrent aujourd’hui Actes sud et L’an 2. Chef d’œuvre, en effet, car il est bien certain que l’ouvrage fera date, tant de beauté pure ne pouvant être contenue dans ces quelques 300 pages sans se répandre un peu dans le monde et l’illuminer de ses lueurs sulfureuses, portant très haut le texte de Milton (version française de Chateaubriand) sur le tapis paradoxalement chatoyant de ses gris charbonneux, de ses bistres saturniens et de ses verts malades. Au rythme presque déclamatoire d’un découpage au classicisme assumé, dans un style graphique aussi tourmenté que somptueux, où le jeune Picasso le dispute en influence aux Italiens de la Renaissance,  Pablo Auladell – à l’image de quelque démiurge luciférien, lui insuffle une vie nouvelle et le magnifie sous la forme d’un album qui n’oublie cependant jamais d’être une bande dessinée, une vraie, quoi qu’en puissent dire les quelques survivants parmi les snobs et les contempteurs du 9e art qui prétendent s’en chercher un 10e dans un soi-disant « roman graphique ».