mercredi 31 janvier 2018

Les Amazones


















Les Amazones : quand les femmes étaient les égales des hommes, d'Adrienne Mayor. - La découverte, 2017

Les filles, ça pleure tout le temps, ça aime le rose, ça joue à la poupée et, surtout, ça veut faire un beau mariage et beaucoup d'enfants. Fort de cette certitude bien ancrée, le mâle moyen a cru pouvoir s'approprier la guerre; Erreur fatale : comme certains l'auront encore appris naguère à leurs dépens du côté du Kurdistan syrien, les filles n'ont pas moins d'appétence et d'adresse au défouraillage en règle que leurs collègues les plus sévèrement burnés. Et ça ne date pas d'hier, apparemment, comme en témoigne Adrienne Mayor à propos des Amazones.
Certes, les Grecs - qui les inventèrent - fantasmèrent beaucoup sur ces femmes guerrières ayant renié les valeurs de leur sexe telles qu'eux les concevaient : il n'y eut certainement jamais de peuple entièrement constitué de femmes qui se coupaient un sein pour mieux tirer à l'arc.En revanche, ils ne fantasmaient pas à partir de rien, et toutes les sources écrites dot on dispose, à commencer par Hérodote, l'un des historiens les mieux informés sur la question, s'accordent pour faire des Amazones l'une des composantes du très vaste espace "scythe", terme générique qui désigne en réalité une mosaïque extrêmement mouvante de peuples nomades occupant une aire géographique gigantesque qui va, en gros, du nord de la Grèce aux frontières de la Chine. Depuis le XIXe siècle de nombreuses fouilles ont laissé une très riche moisson de vestiges de ces peuples dont les vêtements et les armes correspondent en tous points à ceux des Amazones telles que ne cessèrent de les peindre les Grecs sur d'innombrables vases. Or, s'il avait alors paru naturel aux chercheurs de faire systématiquement systématiquement d'une tombe où l'on trouvait des armes celle d'un guerrier, les progrès des test ADN et de la médecine légale ont depuis permis d'en réattribuer près du tiers à des femmes, souvent jeunes et parfois mortes au combat de manière indubitable. Les Amazones n'étaient pas entièrement légendaires. Il y eut, pour de bon et pendant près de 1000 ans, des filles pour chasser et se battre au même titre que les hommes, sans que l'on puisse faire entre eux la moindre différence liée au genre. A la lumière de ces découvertes, Adrienne Mayor cherche à reconstituer ce que fut sans doute la vie et le quotidien de ces jeunes filles et de ces femmes dont on a retrouvé la trace jusqu'en Grande-Bretagne où - on le sait - des auxiliaires sarmates contribuaient à la garde du mur d'Hadrien. Relisant les sources grecques mais aussi perses et chinoises (la fameuse Mulan n'était certainement rien d'autre qu'une jeune nomade xianbei), elle retrace avec une passion contagieuse une tout autre Antiquité que celle que l'on nous enseigne avec toute la part d'idéologie qui vient avec. Eh oui : les filles, ça monte à cheval, ça sait se battre et, d'une façon générale, ça n'a pas besoin de toi, mon gars...

mercredi 10 janvier 2018

Etoiles rouges


















Etoiles rouges : la littérature de science-fiction soviétique, de Viktoriya et Patrice Lajoye. - Piranha, 2017.

Il est toujours fascinant de partir à la découverte d'un continent inexploré, surtout dans un bon fauteuil, une boisson chaude à portée de main. Cette histoire de la science-fiction soviétique, unique en son genre, vaut son pesant de caviar et l'on en apprend de vertes, à commencer qu'il y eut bel et bien une science-fiction soviétique. Certes on le savait déjà par Jacques Bergier et quelques autres qui firent en leur temps œuvre de pionniers, mais on était loin de soupçonner toute la richesse d'une littérature dont le développement, à partir de la source utopique commune à tout le "merveilleux scientifique" du XIXe siècle, se fit ensuite en vase à peu près clos. Elle commença même par connaître un petit Âge d'or à l'époque de la NEP, avec des romans encore fondamentaux comme Aelita d'Alexeï Tolstoï, Les oeufs fatidiques et Coeur de chien de Mikhaïl Boulgakov et, surtout, Nous d'Evgueni Zamiatine, contre-utopie féroce qui lui valut les foudres du pouvoir. Sous ce rapport, le règne de Staline n'arrangea évidemment rien : repoussée dans les marges d'un sous-genre à visées didactiques réservé à la jeunesse, la SF russe dut attendre les années 50 pour connaître son âge classique, avec un véritable foisonnement de textes et d'auteurs en tous genres, pour la plupart jamais traduits. Pour un Ivan Efremov (La Nébuleuse d'Andromède) ou des frères Strougatski (L'île habitée, Stalker), combien d'alléchants inconnus dont Viktoriya et Patrice Lajoye, alliant la précision universitaire à la passion du geek, nous détaillent le corpus avec une érudition sans faille ? La frustration nous guette à chaque ligne de l'abondante bibliographie finale, où se succèdent les "inédit en français", même si les auteurs, eux-mêmes traducteurs et éditeurs, font ce qu'ils peuvent pour y remédier. Aussi, pris d'un vertige intersidéral, ne refermera-t-on ce livre que pour courir apprendre le russe, et le rouvrir au plus vite.

[texte paru dans Le Matricule des anges]