mercredi 26 octobre 2016

L'essentiel des Gouines à suivre : 1987-1998






















 





L’essentiel des Gouines à suivre : 1987-1998 / Alison Bechdel. - Même pas mal, 2016



Récemment reconnue en France pour les très remarquables et remarqués Fun home et C’est toi ma maman ? (parus tous deux chez Denoël Graphic), Alison Bechdel est cependant loin d’être une débutante aux Etats-Unis, son pays d’origine, où sa notoriété s’était bâtie tout au long des années 90 sur la série Dykes to watch out for, enfin traduite par les éditions Même pas mal. Bande dessinée communautaire, voire d’un communautarisme assumé, les « Gouines à suivres » mettent en scène le quotidien d’un petit groupe de lesbiennes dans ses composantes plus ou moins typées : il y a Mo, le boulet, cœur tendre sous des allures intransigeantes et hyper-rationnelles, Loïs, la papillonne, cynique et généreuse, bien décidée à jouir sans entraves, Clarice et Toni le « vieux » couple, qui finit par opter pour la PMA, Ginger, la prof qui n’en finit plus de bûcher sa thèse… et bien d’autres, dont les avatars et les dialogues incessants finissent par former au fil des pages la chronique attachante d’une Amérique minoritaire et fin de siècle. On passe de Reagan à Bush père et de Bush père à Bill Clinton presque sans s’en apercevoir dans ce petit théâtre permanent où la prise de tête fait figure d’art majeur : sur un fond d’actualité toujours présent, Alison Bechdel moque avec tendresse et beaucoup de finesse un petit milieu dont les préoccupations – entre saucisses tofu-gingembre et gender studies aux titres improbables – semblent parfois en léger décalage avec les grands enjeux de ce monde et où – tant pis pour les voyeurs – il n’est pas tant question de sexe, au fond, que de vivre la vie qu’on s’est choisie dans une Amérique encore très largement réactionnaire et conservatrice. Si l’on rit peut-être moins que chez un Ralf König, satiriste plus mordant, on se surprend cependant à regretter d’avoir fini ce recueil pourtant copieux et de devoir au moins provisoirement se séparer d’une bande de copines dont on rêverait de faire partie. Moi, quand je serai grand, je serai goudou.




lundi 3 octobre 2016

Martha & Alan


















Martha & Alan / Emmanuel Guibert. – L’association, 2016.

Reprenons. Depuis une bonne quinzaine d’années, Emmanuel Guibert a entrepris de transcrire en bande dessinée les souvenirs d’Alan Ingram Cope, cet ami américain installé en France après la Seconde Guerre Mondiale, rencontré par hasard sur l’île de Ré et qui se révéla vite un prodigieux interlocuteur, l’un de ces raconteurs-nés capables de captiver un auditoire sans effets de manche et avec les trois fois rien d’une vie sans histoires. Trois fois rien qui font tout de même des heures et des heures d’enregistrement qu’Emmanuel Guibert est loin d’avoir fini de creuser. Après nous avoir conté La Guerre d’Alan en trois volumes (L’association, 2000-2008) et avoir entamé L’enfance d’Alan (L’association, 2012), il ouvre une brève parenthèse pour évoquer l’amitié d’Alan et de Martha, une petite fille rencontrée à l’école maternelle, devenue son amie d’enfance, perdue de vue et retrouvée sur le tard. Trois fois rien, donc, pas même une tranche de vie, ou alors bien fine. Mais cette transparence même en fait le prix, car sous les mots simples d’Alan se dessinent une vie, deux vies peut-être faites l’une pour l’autre, deux trajectoires à peine déviées par la maladie, l’intransigeance d’une belle-mère, un rendez-vous manqué et l’ombre à peine esquissée d’un regret. Pour traduire cette délicatesse de sentiment, Emmanuel Guibert a fait cette fois le choix de la couleur et d’une forme narrative en plans larges, plus proche de l’album que de la bande dessinée proprement dite. Choix judicieux : les dessins, réalistes, fortement documentés, presque photographiques, sont transfigurés par des couleurs chaudes et profondes, qui donnent aux doubles-pages une tonalité dorée que l’on imagine aussi bien être celle de la Californie natale des deux enfants que celle d’un vert paradis ensoleillé par le souvenir d’une Amérique encore aimable.