Valentina / Guido Crepax. – Actes sud – L’An 2, 2015. – 2 vol.
parus.
Mieux vaut tard que jamais : il n’aura fallu qu’une
grosse dizaine d’années après la mort de Guido Crepax (1933-2003) pour voir
enfin paraître une édition raisonnée de Valentina,
dont les albums, dispersés dans le temps et chez différents éditeurs, n’ont
jamais permis aux lecteurs français de se faire une idée tout à fait juste. Personnage
emblématique des années 60-70, Valentina fut aux fumetti italiens ce que Barbarella fut à la bande dessinée
française : un fantasme et un symbole. Le symbole du passage à l’âge
adulte d’une BD alors presque exclusivement réservée aux enfants ; le
fantasme éminemment masculin d’une femme belle et libre, ouverte à toutes les
aventures (de façon significative, Crepax lui prête les traits de Louise
Brooks, la Lulu de Pabst). Valentina commence pourtant sa
carrière comme personnage secondaire dans une autre série de l’auteur (Neutron – super-héros et critique d’art !), dont elle s’émancipe
néanmoins rapidement pour vivre ses propres histoires. Des histoires toujours
paradoxales, où le réalisme le plus ancré dans la réalité contemporaine voisine
avec un onirisme volontiers teinté de psychanalyse ; où, sans renier son
amour d’une BD authentiquement populaire, l’auteur bouleverse les sages mises
en page du comic strip et les réinvente dans une narration fragmentée, éclatée,
à l’image de ce qui se joue alors dans le Nouveau roman ou le cinéma d’un
Jean-Luc Godard ; dont le fréquent érotisme s’enveloppe d’innombrables
références culturelles, politiques et personnelles, qu’explicite ici un assez
rare appareil de notes (dues à l’épouse et au fils de Crepax). Un peu
étrangement organisée de façon thématique plutôt que chronologique (le premier
tome présente des récits à caractère biographique, le second certaines aventures
extraconjugales de Valentina) et même si l’on ignore encore le nombre de
volumes à venir, cette nouvelle édition, manifestement destinée à faire date,
restera l’une des rares bonnes nouvelles de l’année 2015.