La révolution Pilote, 1968-1972 / Aeschimann et Nicoby. – Dargaud,
2015.
Il y a quelque temps, Nicoby se faisait déjà une belle peur
en arpentant la jungle guyanaise sur un scénario de Joub (Manuel de la jungle, Dupuis, 2015). C’est une autre sorte de forêt
primaire – et autrement périlleuse – qu’il explore aujourd’hui en compagnie du
journaliste Eric Aeschimann, puisqu’il s’agit de rien moins que d’aller à la
rencontre d’une poignée des plus redoutables dinosaures de la BD francophone pour les
interroger sur la séance mémorable qui fit brusquement de Pilote le meilleur magazine du monde. Nous sommes en 1968,
l’ambiance est à la révolution y compris dans le petit artisanat de la plume à
dessin. Quelques dessinateurs provoquent une réunion dans un bistrot, à
laquelle est « convié » le plus fameux d’entre eux, scénariste
d’Astérix et rédacteur en chef du journal Pilote.
René Goscinny s’y rend sans méfiance, pour se voir aussitôt accabler par toute
la fleur de la profession, sans avoir l’occasion ni la moindre chance de se
défendre. Il ne s’en remettra jamais tout à fait. Renonçant cependant à démissionner,
il rebondit en faisant de Pilote le
journal dont il rêvait depuis des années, sous l’inspiration du Mad de Harvey Kutzmann, qu’il avait bien
connu dans sa jeunesse new-yorkaise. Pendant quatre ans, Pilote devient ainsi LE laboratoire de la bande dessinée satirique
et d’actualités, tout en continuant d’accueillir les innovations les plus
folles sur le plan graphique. Toutes les grandes
« stars » de la BD
des années 70 passeront ainsi par Pilote et donneront le meilleur d’eux-mêmes sous
l’impulsion de l’un des rédac-chefs les plus authentiquement novateurs de toute
l’histoire de la bande dessinée. Tous, pourtant, de Gotlib à Bretécher en
passant par Fred, Druillet, Mandryka et Giraud (bon, de façon posthume, en ce qui le concerne), tous
avouent à leur manière que quelque chose s’était cassé lors de cette fameuse
« réunion », qui portait en germe l’éclatement qui n’aurait
véritablement lieu que quatre ans plus tard, lorsque les dessinateurs de Pilote essaimeront pour créer leurs
propres journaux : L’écho des
savanes (Mandryka, Bretécher, Gotlib), suivi de Métal hurlant (Giraud, Druillet, Dionnet) et Fluide Glacial (Gotlib). Hypersensible, René Goscinny ne cessera
d’y voir une trahison de leur part et mourra, en 1977, sans jamais s’être
réconcilié avec une profession qui l’avait profondément déçu et blessé. La
plupart, toutes passions retombées, le regrettent encore et ne se font pas
faute de l’avouer à ces deux jeunots maladroits et vaguement exaltés venus
secouer une vieille histoire qui, pour avoir été racontée cent fois, ne l’avait
jamais été en bande dessinée, ni avec tant de drôlerie teintée d’émotion (ou
d’émotion teintée de drôlerie, je sais jamais…)
Pour prolonger la lecture :
Guy Vidal, dir. Pilote raconté par ceux qui l'ont fait : le livre d'or du journal Pilote. - Dargaud, 1980.
Évocation à la fois un rien foutraque foutraque et bon enfant de l'histoire du journal, de ses débuts somme toute assez banals à sa fin quasi consommée à la sortie du livre. Les uns et les autres interviennent tour à tour comme dans un documentaire télé, sous la houlette bienveillante du regretté Guy Vidal, successeur de l'encore plus regretté René Goscinny.
Pour prolonger la lecture :
Guy Vidal, dir. Pilote raconté par ceux qui l'ont fait : le livre d'or du journal Pilote. - Dargaud, 1980.
Évocation à la fois un rien foutraque foutraque et bon enfant de l'histoire du journal, de ses débuts somme toute assez banals à sa fin quasi consommée à la sortie du livre. Les uns et les autres interviennent tour à tour comme dans un documentaire télé, sous la houlette bienveillante du regretté Guy Vidal, successeur de l'encore plus regretté René Goscinny.