L’incroyable histoire
du Canard enchaîné / Didier Convard
& Pascal Magnat. – Les Arènes BD, 2016
Le Canard enchaîné
est une anomalie. Le Canard enchaîné
ne devrait pas exister : un hebdomadaire sans publicité, financièrement
indépendant, totalement absent des réseaux sociaux et rentable ne saurait de nos jours exister que sur quelque
lointaine exo-planète. Et pourtant… pourtant, à plus de cent ans, le Canard est
bel et bien là et il est en pleine forme, certain candidat malheureux à la
présidence peut en témoigner. Le volatile a donc cent ans et il fallait bien
marquer le coup. Pour ceux qui n’auraient pas le courage de se farcir la très
copieuse anthologie parue au Seuil à l’occasion du centenaire, Convard &
Magnat ont eu la bonne idée de faire en bande dessinée l’histoire pas si
naturelle que ça d’un journal devenu si nécessaire dans le paysage
journalistique français que l’on peine à croire qu’il n’ait pas toujours
existé. Le Canard, qui l’eût cru, a donc une histoire : né de la Grande Guerre, à l’initiative
de quelques plumitifs libertaires agacés par le bourrage de crâne généralisé,
il donne le ton d’emblée : il sera persifleur et irrévérencieux et se fera
un devoir de clouer au pilori de la rigolade toutes espèces de badernes,
éminences, académiciens de garde et politicards. Maurice Maréchal et les siens
n’épargnent personne, sans pour autant renvoyer dos à dos gauche et droite.
Viscéralement antifasciste, le Canard sera l’un des plus fermes soutiens du
Front Populaire, sans pour autant se montrer dupe d’aucun parti. Principale
garantie de sa survie, sa légendaire indépendance en fera d’ailleurs l’un des
organes de presse les plus redoutés et des mieux renseignés de l’après-guerre.
Capable de défaire les politiciens les mieux en place ou de changer le cours
d’une élection au fil d’imparables enquêtes, il agit en véritable contrepoison
d’une classe politique française pour le moins encline à prendre ses aises avec
la morale et l’argent public : de l’affaire Stavisky aux petits
arrangements financiers des candidats Le Pen et Fillon, c’est une interminable
liste d’affaires en tous genres que traversent, semaine après semaine, les unes
goguenardes de la bestiole, dressées comme l’envers du décor d’une histoire
contemporaine beaucoup moins lisse que ne le veut le « roman national »
dont certains tiennent tant à nous repasser les plats. Méfiant envers tous les
pouvoirs, le Canard, au fond, n’a jamais cessé d’être anarchiste à sa manière,
sans postures ni drapeaux noirs mais aussi, mine de rien, sans compromissions,
ce dont bien peu « d’insoumis » autoproclamés peuvent se vanter. Le
Canard, lui, ne s’en vante pas, mais il fallait que ce soit dit : mu sans aucun
doute par un besoin urgent de racheter son âme, l’éditeur de Valérie
Trierweiler s’en est chargé. Dont acte.
Pour aller plus loin :
Le Canard enchaîné : 100 ans. - Seuil, 2016.
Pour aller plus loin :
Le Canard enchaîné : 100 ans. - Seuil, 2016.
Sous-titré "un siècle d'articles et de dessins", cette copieuse anthologie annonce la couleur ! 613 pages grand format, voilà le genre de bouquin qu'on ne lira pas au lit. On le lira cependant, ne serait-ce que pour s'en payer une bonne tranche et, accessoirement, prendre une bonne leçon d'histoire contemporaine. Une histoire dont le Canard, cette institution unique au monde, fut bien souvent tout autant acteur que témoin, comme en atteste Patrick Rambaud qui, en guise de complément, nous raconte Le roman du Canard...