La Grande guerre : le premier jour de la bataille de la Somme / Joe Sacco. - Futuropolis : Arte éditions, 2013
Moins souvent évoquée de ce côté-ci de la Manche que la bataille de
Verdun ou celle de la Marne,
l’offensive de la Somme
reste pour les Anglais la mère de toutes les batailles de la Grande guerre : la
plus démesurée, la plus intensément préparée et, surtout, la plus meurtrière,
puisqu’on estime qu’environ 20 000 soldats britanniques laissèrent leur
vie en ce seul 1er juillet 1916. Il s’agissait, selon la doctrine
chère au général Haig, commandant en chef du front de la Somme, d’opérer en une seule
fois une poussée définitive, un Big push
qui, réduisant à néant les lignes allemandes, ouvrirait définitivement les
portes de la Victoire
aux troupes de Sa Très Gracieuse Majesté. L’Etat major avait bien fait les
choses : une semaine de barrage d’artillerie non-stop, un déluge de
tonnerre et de feu s’abattit pendant sept jours sur les tranchées allemandes et
résonna jusqu’au cœur de Londres. Au signal, les fantassins retranchés dans
leurs kilomètres de boyaux n’auraient plus qu’à traverser le no man’s land comme
à la promenade et s’en aller tranquillement s’occuper des quelques Prussiens
survivants. Bel optimisme militaire, vite rattrapé par les balles allemandes.
Car l’ennemi, retranché dans des abris souterrains solidement fortifiés,
attendait tranquillement la fin des tirs pour jaillir à l’air libre et mettre
en service ses propres batteries. Ce fut une hécatombe.
Connu pour ses travaux journalistiques sur la Bande de Gaza ou
l’ex-Yougoslavie en guerre, le dessinateur Joe Sacco a choisi d’évoquer cette
horreur sous la forme d’une immense frise muette de 7,5 mètres décrivant par
le menu la catastrophe, depuis la promenade matinale du brave général Haig jusqu’à
l’enfouissement hâtif des dernières victimes. Dans un style extrêmement fouillé
et d’une précision hallucinante, il met en scène un véritable fourmillement
humain, composé de centaines et de centaines de figurants en plus ou moins bon
état qui, s’il ne s’agissait d’événements aussi dramatiques, rappellerait
certaine série de livres-jeux où l’on doit repérer dans la foule un dadais rayé
de rouge. Nulle couleur ici, et heureusement, car c’est d’une immense tache de
sang que se teinterait la fin de cette apocalypse moderne qui devait
définitivement sonner la fin des illusions anglaises en matière de victoire
facile. Où est Charlie ? Dans la merde, mon général.