Edouard Levé Œuvres. – POL, 2015
Après les Artistes
sans œuvre, naguère évoqués par Jean-Yves Jouannais (Hazan, 1997), voici venu
le temps des œuvres sans artiste. Edouard Levé (1965-2007), artiste conceptuel
et écrivain, dresse une liste de 533 idées d’œuvres d’art contemporain, qu’il
n’aura pour la plupart pas pris le temps de réaliser lui-même, à défaut d’en
avoir l’envie ou les moyens. Qu’il s’agisse de tourner en voiture un plan
séquence vidéo entre les villages d’Angoisse et Prozac ou bien d’empailler une
gazelle dans la peau du léopard qui l’a tuée, la quasi-totalité de ces œuvres
sont bien assez foldingues, malignes, absurdes ou tout simplement vaines pour
figurer pour de bon dans n’importe quel FRAC et vous épargner un certain nombre
de visites au Palais de Tokyo. Est-ce pour autant de l’art ou du cochon ?
Bien malin qui saura répondre : si l’on en croit les portraits figurant
sur la couverture, Edouard Levé tenait plutôt du thanatopracteur que du roi de
la chatouille. Il n’est cependant pas interdit de pincer sans rire et il est très
vraisemblable qu’il ne s’en privait pas. L’art, après tout, comme l’humour,
sont là pour titiller notre rapport au réel : pour être drôle, une œuvre
d’art est-elle moins pertinente ? Rien n’est moins sûr et l’on se gardera
de faire de ce catalogue une parodie pure et simple, une parodie
« externe » en quelque sorte, en oubliant que l’art contemporain –
qui n’aime rien moins que se mordre la queue – contient en lui-même sa propre
parodie. Quoi qu’il en soit, la lecture n’est jamais fastidieuse et c’est
peut-être le plus troublant, qui révèle la nature essentiellement conceptuelle,
pour ne pas dire littéraire, d’une grande partie de l’art le plus
contemporain : la plupart de ces œuvres existent suffisamment sur le
papier pour n’avoir pas besoin d’être réalisées. Artiste conséquent, Edouard
Levé s’en est bien gardé, achevant ainsi son œuvre avant de se donner la mort à
l’âge de 42 ans.
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