Carlos Nine Rapport visuel sur la ville de Buenos Aires et ses environs. - Les Rêveurs, 2014.
S’il n’a pas encore laissé de traces indélébiles dans les draps
d’un blanc parfois douteux de la bande dessinée, Carlos Nine n’en est pas moins
l’un des plus fantastiques et faunesques illustrateurs qui fut jamais couché
sur le papier du même nom. Du faune, en effet, il a bien la joyeuse
concupiscence, l’oreille en pointe et musicale, cette agilité surprenante que
l’on réservait au cabri et, surtout, cette causticité dionysiaque qui fait du
moindre de ses dessins une comédie d’Aristophane où, sur la triple piste d’un
cirque crépusculaire, bourgeonne et se mêle une foule improbable de canards
vicieux, de beautés fatales et de magiciens caoutchouteux. On ne le trouvera
cependant point gambadant sur les pentes du mont Olympe, mais bien plus
sûrement dans quelque sombre ruelle de Buenos Aires, sa ville natale, mythique
au moins autant que réelle, cosmopolite et absorbante, dont il dresse ici un
portrait légendaire et fantasmé. Porteño
dans l’âme, cette même âme glissante qui inventa le tango, Carlos Nine prend le
prétexte d’un recueil d’illustrations disparates pour lancer autant de
micro-fictions anecdotiques et farfelues, soigneusement référencées et réparties
entre légendes urbaines, rumeurs, mythes et faits avérés. Au fil de vignettes
d’une charmante componction pince-sans-rire, l’on passera ainsi du fameux Babine
du Río de la Plata,
canidé doué d’une étonnante faculté d’introspection, au premier Symposium de
langage ordurier de 1936, « présidé par une image de Rita, la géniale
insulteuse du quartier de Mataderos, et son putain de chien », sans
négliger, bien entendu, les terribles contes de la « Grand-mère
sinistre » destinés à inculquer un peu de réalisme aux enfants… On l’aura
compris, Carlos Nine, reprenant la veine de son précédent Prints of the West (Rackham, 2004), s’inscrit directement dans la
filiation rêveuse et fabulatrice d’un Marcel Schwob, dont les Vies imaginaires inspirèrent ses
compatriotes Jorge Luis Borges (Histoire
de l’infamie / Histoire de l’éternité) ou Juan Rodolfo Wilcock (Le stéréoscope des solitaires), selon
une saine tradition littéraire dont on ne trouvera guère l’équivalent en bande
dessinée, sinon dans les dérives géniales d’un Ben Katchor ou d’un José Carlos
Fernandes, dont il faudra bien que l’on reparle un jour ou l’autre…
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