Intégrale Simon du Fleuve. 1 / Auclair. – Le Lombard, 2015
Que serions-nous devenus si, vers
l’âge de 10 ans, nous n’avions lu Simon
du Fleuve ? Aurions-nous politiquement si bien tourné si Greg, qui fut
à Tintin ce que Goscinny fut à Pilote et Delporte à Spirou, n’avait eu le
nez de publier cette série dont on se demande aujourd’hui quelle place elle
pourrait encore trouver dans une presse jeunesse en voie d’infantilisation
croissante ? Car, c’est peut-être difficile à croire, Simon du Fleuve et sa virilité moustachue dopée aux grands espaces post-apocalyptiques
eurent un jour toute leur place aux côtés de Cubitus et de Robin Dubois
dans un magazine qui ne ressemblait pas encore à un paquet de corn-flakes et qui ne
craignait pas de faire siffler aux oreilles de ses jeunes lecteurs le grand
vent de l’aventure sans demander au préalable l’autorisation des parents.
Certes, le contexte s’y prêtait : celui de ce début des années 70, période
intense qui, suivant immédiatement mai 1968, vit s’épanouir luttes et utopies
de toutes sortes, de la Gauche
prolétarienne aux premières grandes bagarres écologistes, du retour à la terre
à la bataille du Larzac. Venu tard à la bande dessinée, et presque par défaut,
Claude Auclair (1943-1990) n’a jamais caché ni son intention militante ni la
valeur d’avertissement de son travail, placé d’emblée sous les auspices panthéistes d’un Jean Giono. Parrainage un rien risqué, d’ailleurs, et qui
faillit bien lui coûter sa carrière, puisque les éditions Gallimard, pas encore
convaincues par leur banquier de l’intérêt des petits mickeys, lurent bien
moins La Ballade
de Cheveu Rouge (son premier récit d’envergure et celui où apparaît pour la
première fois le personnage de Simon) sous l’angle de l’hommage que sous celui
du plagiat. L’affaire se solda par une interdiction qui fit de ce démarquage du
Chant du monde l’un des grands albums
maudits de la BD
franco-belge, avant que cette intégrale ne vienne mettre fin à la légende en
lui restituant sa juste place de simples prémices encore un peu naïves à une
œuvre autrement conséquente. Car les choses sérieuses commencent véritablement
avec Le Clan des Centaures et,
surtout, avec Les Esclaves, sa suite
immédiate, qui voit décrit par le menu, avec un réalisme implacable et jusqu’à
la victoire totale, le combat mené par les pensionnaires d’un sinistre camp de
travail contre leurs bourreaux, mercenaires à la solde de Ceux-des-Cités (dont
il faudra cependant patienter jusqu’au tome 2 pour pleinement profiter des
turpitudes).
En attendant, qu’il nous soit permis de saluer le beau travail éditorial de Patrick Gaumer et du Lombard qui, tout en réactivant nos rêveries préadolescentes, viennent justement remettre en lumière l’œuvre désormais classique d’un auteur bien trop tôt disparu et dont on n’a sans doute pas encore tout à fait mesuré l’influence, en matière d’encre de Chine comme en matière d’ultragauche.
En attendant, qu’il nous soit permis de saluer le beau travail éditorial de Patrick Gaumer et du Lombard qui, tout en réactivant nos rêveries préadolescentes, viennent justement remettre en lumière l’œuvre désormais classique d’un auteur bien trop tôt disparu et dont on n’a sans doute pas encore tout à fait mesuré l’influence, en matière d’encre de Chine comme en matière d’ultragauche.
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