La guerre des boutons
/ Bruno Heitz, d’après Louis Pergaud. – Le Genévrier, 2015.
Tout le monde connaît
La
guerre des boutons, classique indémodable de la littérature stratégique à
l’usage de la jeunesse qui, dans une France rurale d’avant les monuments aux
morts, voit s’affronter deux bandes de gosses à grands coups de lance-pierre et
de torgnoles. Depuis 2010, l’entrée dans le domaine public du roman de Louis
Pergaud n’a évidemment pas manqué de susciter une salve de nouvelles adaptations
plus ou moins opportunes dont pas une seule, au cinéma comme en bande dessinée,
ne sera cependant parvenue à éclipser la plus connue, réalisée par Yves
Robert en 1962. A
la fois populaire et bon enfant, celle-ci ne renvoyait cependant qu’une image
assez édulcorée de la véritable violence qui traverse le roman, violence sans
doute vécue comme bénigne à l’époque mais dont la moindre des multiples roustes
paternelles suffirait aujourd’hui à déclencher l’intervention toutes sirènes
hurlantes des services de protection de l’enfance. Il appartenait donc à Bruno
Heitz de restituer, au plus près de la lettre et de l’esprit, un récit qui,
décidément, semblait n’attendre que lui. Qui d’autre, en effet, depuis Benjamin
Rabier, aura eu dans le monde des littératures graphiques une telle
intelligence de la campagne, un aussi réel talent d’observateur, un style,
enfin, aussi bien accordé à la verve rabelaisienne de Pergaud ? Des 9
volumes de son
Privé à la cambrousse
au
Roman de Renart, de ses innombrables
histoires de loups aux agrestes aventures de
Louisette la taupe, Bruno Heitz a accumulé sur son CV suffisamment de
petits coins de verdure pour faire de lui l’un des très rares ayants-droit
légitimes d’un romancier qui, quelles
que soient les probables réticences du hussard noir qu’il fut à l’encontre
des « illustrés », se serait certainement reconnu mieux que partout
ailleurs dans cette grosse centaine de pages d’un noir et blanc sans chichis. Rarement
dessin, en effet, se sera constitué avec un tel naturel en une véritable écriture,
à la fois fluide et précise, capable d’évoquer en quelques traits l’atmosphère
d’un lieu, d’une époque, d’un milieu, là où la majorité des soutiers qui font
l’ordinaire de la bédé s’épuisent en un « réalisme » vulgaire et parfaitement
calcifié à force de détails inutiles. Une écriture, surtout, qui se souvient de
ce qu’elle doit au peuple et à l’enfance et ne renie jamais sa famille,
celle-là même qui vit naître François Rabelais et Georges Brassens, Etienne
Jodelle et Louis Forton, Michel Audiard et René Fallet, La Fontaine et San Antonio,
tous francs-rimailleurs et conteurs impénitents dont on aimerait tirer le
portrait à l’ancienne, avec voile noir, éclair de magnésium et petit oiseau qui
va sortir. Gageons que Bruno Heitz y figurerait en bonne place, l’œil malicieux
comme il sait faire, bras-dessus-bras-dessous avec le cousin Pergaud, parmi la
vaste et joyeuse ribambelle de tous ceux qui, au fil des siècles, n’auront
cessé de cultiver avec amour la belle jeunesse de notre langue
.
Pour aller plus loin :
Kaboom n°6, juillet 2014.
Contient un rare et passionnant entretien avec Bruno Heitz.
S'il n'avait jusqu'ici donné lieu à rien de bien brillant en matière de bande dessinée, le roman de Louis Pergaud a souvent et heureusement tenté les illustrateurs, et notamment :
Claude Lapointe (Gallimard, 1977)
Acteur fondamental de la rénovation de l'illustration jeunesse dans les années 70, exigeant et toujours parfaitement lisible, Claude Lapointe propose ici une lecture très fine et fidèle du texte de Pergaud, dans un esprit très proche de la bande dessinée.
Florence Cestac (Gallimard : Futuropolis, 1990)
Dans l'esprit "gros nez" propre à la dessinatrice, co-fondatrice des éditions Futuropolis, une illustration qui, tout en collant fidèlement au texte, le décale vers une bouffonnerie que n'avait peut-être pas prévu Pergaud...
Georges Beuville (Club du libraire, 1959)
Très certainement la plus belle et la plus juste illustration du roman de Pergaud, par l'un des plus grands illustrateurs français du 20e siècle, dont le moindre trait de plume contient plus de vie que l'"oeuvre" entière d'un quelconque Benjamin Lacombe...