mardi 8 mai 2018

Le plancher

















Le plancher, de Perrine Le Querrec. - L'éveilleur, 2018

S'il en est encore pour mettre la sacro-sainte famille au pinacle, la lecture de ce bref récit devrait définitivement les calmer. Perrine Le Querrec y suit au plus près ce que l'on sait de la vie de Jeannot, jeune paysan béarnais qui se laissa mourir de faim en 1972, après avoir gravé à la chignole et à la gouge un long texte délirant sur le plancher de sa chambre. Il avait de qui tenir : jamais cellule familiale ne porta mieux son nom que celle où les siens s'étaient enfermés. Les siens : le père, violent et tourmenté, la mère, murée dans un silence haineux, les trois enfants, enfin, dont une seule échappera par le mariage à ce nœud de vipères. Jeannot, le plus jeune, sera celui qui s'enfoncera le plus loin dans l'horreur. Engagé volontaire en Algérie, il rentre après le suicide de son père et sombre définitivement dans la démence. Une démence partagée dans un effrayant huis-clos avec la mère et la sœur aînée dont la mort, en 1993, permettra la découverte et le sauvetage du plancher gravé par son frère, exposé désormais de façon pérenne sur l'une des façades de l'hôpital Sainte Anne, à Paris.
Il est toujours délicat de se glisser dans la folie d'un autre. Perrine Le Querrec s'y risque avec un certain savoir-faire, en habituée des archives psychiatriques (Jeanne L'Étang, Bruit blanc, 2013) mais aussi en poète, tant il semble impossible parfois, d'évoquer de telles souffrances sans mettre la langue elle-même à nu. Atteindra-t-elle cependant un tel degré de dénuement, une telle cruauté, que le texte de Jeannot, tel qu'il est donné à lire dans toute sa brutalité en fin d'ouvrage ? Il est bien sûr permis d'en douter : une telle entreprise ne va jamais sans un peu d'artifice, que Perrine Le Querrec compense toutefois par  une vraie force d'évocation, presque graphique (on verrait bien ce livre illustré par un Manu Larcenet, celui de Blast ou du Rapport de Brodeck). Ce que confirme L'Éveilleur à l'occasion de la réédition de ce texte naguère paru aux Doigts dans la prose, en lui donnant une couverture assez stupéfiante, due à la photographe Isabelle Vaillant.

[texte paru dans Le Matricule des anges]

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