mercredi 24 juillet 2019

Krollebitches


















 Krollebitches, de Jean-Christophe Menu. - Les impressions nouvelles, 2017

Les krollebitches - un mot venu du bruxellois, peut-être inventé par Franquin himself - ce sont ces multiples signes qui parsèment la bande dessinée depuis toujours et, d'une certaine façon, lui sont consubstantiels : traits de mouvement ou de vitesse, étoiles, pictogrammes en tout genre, gouttes de sueur, tortillons et autres zigouigouis dont la BD ne saurait se passer. Jean-Christophe Menu n'ayant jamais vécu que pour la bande dessinée, c'est donc à l'enseigne de la krollebitche qu'il a choisi de rédiger ces "souvenirs même pas en bande dessinée". Plutôt que d'autobiographie (dont il fut l'un des pionniers en France et en BD avec Livret de phamille (L'Association, 1995)), peut-être en l'occurrence vaudrait-il mieux parler d'autobibliographie s'agissant non pas de sa vie en elle-même mais de la façon dont la bande dessinée, dès l'enfance, l'aura formée, informée, déformée peut-être. Ce sera donc l'histoire d'une découverte, du premier numéro de Spirou vers l'âge de quatre ans jusqu'au premier fanzine, à l'adolescence, en prélude à la professionnalisation. Rien au-delà, malgré le rôle fondamental qu'il allait être amené à jouer dans le renouvellement de la bande dessinée française des années 90, car il s'agit avant tout de montrer, presque sociologiquement, comment s'élabore une culture chez un enfant de la classe moyenne dans les années 70-80. Sans atteindre le degré de maniaquerie du petit Jean-Christophe, quiconque s'est lui-même intéressé à la bande dessinée dans ces années-là y reconnaîtra bon nombre de stations de son propre "chemin de choix" : Spirou, Tintin, Pif gadget, l'irruption météorique du Trombone illustré dans les pages de Spirou, les "hauts de page" de Yann & Conrad... jusqu'à ce que Menu nomme très justement "l'antimatière", cette bande dessinée pour adultes dont chaque rencontre, toujours inopinée, toujours troublante, entrouvre une nouvelle fenêtre sur des espaces insoupçonnés, de plus en plus vastes. 
Mais le récit de cette découverte se double ici de celui d'un apprentissage. Amoureux de la BD, JCMenu n'aura de cesse de rejoindre ses modèles au sein d'une pratique dont il veut connaître tous les aspects, avec l'enthousiasme et l'obstination du néophyte. Ce seront alors des centaines et des centaines de pages, dessinées directement au stylo, au crayon, aux feutres, dans de petits cahiers préparés à l'avance, sans possibilité de retouche, naïves, certes, mais où, mine de rien, se forgeait un style, une écriture propre dont l'effet se déploierait bien plus tard, sans oublier ce qu'elle doit à ses maîtres. 
Car la bande dessinée, depuis le début, depuis Töpffer et même avant, est d'abord une affaire de filiation. Tout dessinateur, aussi médiocre soit-il, peut-être relié à tous les autres par le jeu des influences. Rare cas de dessinateur qui soit aussi théoricien, Jean-Christophe Menu n'hésitera jamais, ici comme ailleurs, à rendre hommage à ses inspirateurs, nombreux, de Macherot à Franquin et Tillieux, de Gotlib à Moebius ou Robert Crumb. Souhaitons que ce petit livre alerte et drôle prenne à son tour toute sa place dans la chaîne et que, de madeleine de Proust à l'usage des quinquas que nous sommes, il devienne à son tour source d'inspiration, pour les petits nouveaux prêts à sortir, éblouis, de leur cocon de pages.

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