mercredi 14 août 2019

Judex


















Judex, d'Arthur Bernède. - Editions du Sagittaire, 2017-2018. - 3 volumes.

Par quels tortueux détours le banquier Favraux a-t-il acquis sa fabuleuse fortune ? Qui est vraiment cette Marie Verdier, qu'il s'apprête à épouser en secondes noces, au détriment de sa fille Jacqueline ? Pourquoi le vagabond Kerjean lui voue-t-il une haine aussi farouche ? Et, surtout, qui est ce Judex, l'impitoyable justicier dont la vindicte le poursuit jusque dans la tombe ? Pour le savoir, jetez-vous sans attendre sur ce feuilleton palpitant, qui fit les beaux jours du Petit Parisien entre janvier et avril 1917, loin des tranchées, des mutineries et des fusillés pour l'exemple d'une guerre qui n'en finissait pas de s'enliser. Il fallait bien se distraire. Pour cela, tous les moyens étaient bons : la presse, bien sûr, mais aussi le cinéma. Selon, le concept révolutionnaire du ciné-roman, Judex ne fut pas seulement un feuilleton mais aussi et en même temps un film, et la cape noire du justicier de se déployer sur les écrans de la Gaumont au moment même où le journal retentissait de ses exploits. Tournés par Louis Feuillade à la suite de Fantômas et des Vampires, les 12 épisodes de Judex, salués par les Surréalistes, deviendront très vite un classique du cinéma muet, tandis que le roman de Bernède sombrait dans l'oubli. Ils formaient pourtant un tout, prévus pour être complémentaires, selon une formule dont on peine aujourd'hui à se figurer le succès populaire. Ciné-romans et serials envahissent journaux et salles obscures. Les romanciers - tel Arthur Bernède - se font scénaristes, en feuilletonistes chevronnés, habiles à tenir le public en haleine en s'appuyant sur les recettes les mieux éprouvées du mélodrame : criminels tout puissants, vengeurs implacables, jeunes filles méritantes, seconds rôles cocasses, gavroches au cœur d'or... Arthur Bernède connaît son métier et Judex ne déroge pas à la règle. Peut-être jugera-t-on tout cela très naïf, peut-être l'aimera-t-on d'autant mieux, justement pour cette fraîcheur venue d'un temps où cynisme et second degré n'avaient pas droit de cité dans nos divertissements, où l'on frémissait pour de bon à ce qui nous fait parfois sourire. Et si cette réédition en trois volumes pèche bien par quelques aspects (d'ineptes illustrations, notamment), elle n'en fait pas moins l'effet, par temps de canicule, d'un bon coup de brumisateur. 

A voir en complément, donc, le Judex de Louis Feuillade, où l'on retrouvera avec plaisir la Musidora des Vampires, incarnant cette fois-ci la démoniaque (et tenace) Maria Monti.








En 1963, Judex fit l'objet d'un mémorable remake de Georges Franju qui, s'il prend des libertés avec le scénario original, le sublime parfois au moyen de scènes surréalistes, comme celle de ce bal masqué dont l'esthétique fait songer à Max Ernst.



Enfin, ne l'oublions pas, Arthur Bernède fut également le créateur de Belphégor, resté dans toutes les mémoires pour l'adaptation télévisée qui sut tenir la France gaulliste en haleine au moment même où naissait l'auteur de ces lignes. Comme Judex, Belphégor fut d'ailleurs un ciné-roman, dont la version filmée a été vite oubliée. Le roman reste d'une lecture agréable, dans une ambiance années folles qui fait parfois songer à L'inhumaine de Marcel L'Herbier.
Une nouvelle et dispensable adaptation par Jean-Paul Salomé en 2000.

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