vendredi 4 octobre 2019

Agathe

















Agathe, d'Anne Cathrine Bomann ; traduit du danois par Inès Jorgensen. - La peuplade, 2019

Un psychanalyste au bout du rouleau s'apprête à prendre une retraite pas si bien méritée que ça quand une patiente inattendue fait irruption dans son cabinet. D'abord tenté de la refouler, il succombe cependant bien vite à son charme parfumé et opère une sorte de transfert inversé qui, tout en lui révélant la vacuité d'une existence sans amour et réglée jusqu'au moindre détail, le pousse à réagir pour devenir, enfin, le véritable thérapeute qu'il avait depuis longtemps renoncé à être. 
Une jeune femme "intéressante", un barbon qui se sent brusquement pousser des ailes, de la psychanalyse... Tous les ingrédients semblaient réunis pour un drame faustien, une espèce de Diable au corps à l'usage des vieux, sur fond de freudisme explicateur et de Viagra. Mais Anne Catherine Bomann n'est pas française : elle est danoise, psychologue et, accessoirement, championne de ping-pong. Elle ne se croit donc pas obligée d'en faire trop pour être prise au sérieux et, pour un premier roman, se contente de faire preuve d'un naturel et d'une simplicité, d'une honnêteté, enfin, que pourraient lui envier bien des chevaux de retour. Ni drame excessif ni passion dévorante, donc, pour ce qui ne doit pas être lu comme une histoire d'amour mais comme le récit plein de délicatesse d'un sauvetage mutuel. Ces deux-là ne vivaient pas, n'avaient jamais vécu, pour qui "vieillir (...) consistait surtout à observer comment la différence entre son moi et son corps grandissait et grandissait jusqu'à ce qu'un jour on soit complètement étranger à soi-même". De leur rencontre inespérée, Anne Cathrine Bomann ne prétend rien tirer d'autre qu'une étincelle, une simple possibilité toute de tendresse retenue, sans rien céder à l'indécence habituelle du "geste" littéraire. Une lueur, à peine, mais dont la pâleur diffuse illumine bien mieux et bien plus durablement le lecteur que n'importe quel embrasement de papier. 

[texte paru dans Le Matricule des anges]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Quelque chose à ajouter ?