mercredi 7 février 2018

Chemins de pierres


















Chemins de pierres, de Troubs. - Les Requins marteaux, 2017.

L'argent public n'est pas toujours si mal utilisé qu'on le dit. Dans le Lot, par exemple, où l'association Derrière le hublot, en collaboration avec le Parc naturel régional du Quercy, a eu la bonne idée d'initier une résidence d'artiste, histoire de "donner à voir" le territoire et ses réalités. Après le duo Guerse & Pichelin en 2016, c'est à Troubs qu'il est échu d'arpenter le causse avec pinceaux et carnets. Dessinateur voyageur dans l'âme, Troubs est un vieil habitué de la vadrouille dessinée. Pour qui l'aura suivi dans des pays aussi lointains et divers que Madagascar, la Colombie, le Mexique, le Turkménistan ou même Bornéo, le revoir entre Concots et Lalbenque pourrait sembler à première vue manquer un peu d'exotisme. Erreur, car il n'est pas besoin d'aller bien loin pour se sentir dépaysé. Au sens, en tout cas, où l'entendait Victor Segalen, pour qui l'exotisme est une attitude personnelle avant tout, une perception intime du monde comme expérience de l'altérité. L'altérité, sur le causse, prend la forme d'un tas de cailloux. Les pierres sont partout, là-haut. Elles poussent comme les plantes, peut-être même mieux. On les retrouve sous forme de dolmens, de murets délimitant chemins et parcelles, de gariottes, de caselles et autres abris de bergers. Elles témoignent, inépuisables et patientes, de l'une des toutes premières sciences de l'humanité, qu'on nommera avec l'auteur la "cailloutologie" ou l'art d'entasser la caillasse. Cet art n'est pas tout à fait perdu, malgré l'exode rural qui touche durement le pays : chaque année des centaines de bénévoles se relaient pour redresser murets et gariottes, entretenant un savoir-faire qui, pour paraître simple, est tout de même affaire de jugeote. Et puis il y a Roger Rousseau qui, depuis une vingtaine d'années, creuse, taille et empile en solitaire, comme on fait le tour du monde. Sans destination particulière, ni palais idéal ni défi prométhéen, son terrain de Beauregard est devenu pour les passants un objet de fascination et d'émotion, quelque chose comme un lieu de recueillement, où s'exprime une forme de poésie naturelle ou de spiritualité archaïque et sans enjeu. Une démarche que Troubs, toujours plus promeneur que reporter, n'est pas loin de reconnaître dans l'exercice du dessin, où le temps s'écoule "à l'exacte bonne vitesse", où quelques taches d'encre suffisent parfois à "rendre la vue aux aveugles". De moins en moins bédéaste (ça n'a jamais été son fort) et de plus en plus dessinateur, il donne avec ce dernier titre l'un de ses livres les plus attachants. L'un des plus contemplatifs, aussi : les pierres, manifestement, l'inspire, cet automne aux frais de la princesse n'aura pas été passé en vain.

Pour aller plus loin

Lost on the Lot, de Guerse & Pichelin. - Ouïe-dire : Les Requins marteaux, 2016
Les premiers à s'y coller, Guerse & Pichelin, un rien intimidés, sont allés à la rencontre des habitants de Capdenac et alentours. Le résultat, sans être déplaisant, est un peu plus guindé que leurs collaborations habituelles (Les loosers sont des perdants...) Avec un CD comprenant une dizaine de "cartes postales sonores", Jean-Marc Pichelin étant par ailleurs très actif sur la scène de l'improvisation et du "cinéma pour l'oreille".


Couma aco, de Baudoin. - L'association, 2005
Entre autres points communs (ils ont réalisé deux livres en commun), Baudoin partage avec Troubs un goût certain pour l'encre de Chine étalée au pinceau et les murets de pierres sèches. Son grand-père en construisait, qu'il évoque longuement dans cet album pour en tirer, comme toujours, une bonne grosse leçon de vie...

 




L'appel du causse, de William S. Merwin. - Fanlac, 2013
Comme disaient Calvin et Hobbes, il y a des trésors partout : qui savait que les causses du Haut-Quercy ont abrité pendant plus de 50 ans l'un des plus grands poètes américains, couvert de prix prestigieux, dont un double Pulitzer ? Amoureux fou de ce pays, il n'aura cessé de le célébrer au fil de poèmes lumineux. On ne saurait évoquer le Quercy sans penser à Merwin.








Sur Roger Rousseau


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