samedi 15 septembre 2018

Joseph Roth journaliste

















Joseph Roth journaliste : une anthologie, 1919-1926 / présenté et annoté par Hugues Van Besien. - Nouveau monde, 2016

Pour ceux qui le confondraient encore avec Philip, rappelons un peu que Joseph Roth, avant de devenir le romancier de la défunte double monarchie d'Autriche-Hongrie (La marche de Radetzsky, 1932), fut d'abord l'un des plus grands journalistes de son temps, aux côtés d'un Arthur Londres ou d'un Egon Erwin Kisch. L'un des plus redoutés, également, qui n'hésitait pas à titiller d'une plume acérée les plaies encore sensibles d'une société allemande mal remise de la guerre civile. Sa bête noire fut incontestablement le nationalisme Völlkisch, identitaire, xénophobe et, par-dessus tout, antisémite, dont la vaste nébuleuse n'allait pas tarder à accoucher d'un certain Adolf Hitler. À ce titre, Roth fut l'un des témoins les plus lucides de la montée du nazisme et l'un de ses plus vigoureux dénonciateurs, jusqu'à l'exil, en janvier 1933. Ses dernières années, assombries par l'alcoolisme et le désespoir de voir l'Europe laisser ainsi libre cours à ses bas instincts, le verront verser dans un improbable mysticisme néomonarchisme, jusqu'à sa mort, en 1939, juste avant qu'advienne le pire.
Mais, pour l'heure, Joseph Roth est encore journaliste, et devient rapidement l'une des vedettes du Frankfurter Zeitung, dont il est titulaire du "feuilleton", rubrique phare des journaux allemands, qui tient tout autant de la chronique que de l'éditorial et où c'est avant tout le style qui fait la différence. Et du style, Joseph Roth en a, à revendre. Ironique, acerbe, parfois, toujours lucide, il observe avant tout cette société d'après-guerre, qui voit l'un de ses plus grands dirigeant, Walther Rathenau, assassiné par l'extrême droite ; qui ne sait plus quoi faire de ses mutilés de guerre et de ses chômeurs ; qui s'insurge, en Rhénanie, d'être occupée par des Noirs ! Si Roth eut un rival dans la période, ce fut assurément un George Grosz ou bien un Otto Dix, témoins impitoyables de la décomposition sociale qui devait aboutir au IIIe Reich. La fin de sa carrière journalistique est marquée par un voyage en URSS, étape obligée de presque tous les écrivains progressistes des années 20 et 30. Comme quelques autres - pas si nombreux - Roth revint déçu : la Révolution s'enlisait, la NEP avait vu la renaissance d'une nouvelle classe de bourgeois, peut-être encore pire que l'ancienne. Nulle déférence envers un régime déjà pré-stalinien ne lui fait mâcher ses mots. Ou, s'il le fait, c'est pour mieux les recracher, avec une précision qui fait mouche à chaque coup et, de préférence, dans l’œil des imbéciles satisfaits.
Du grand art...

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