samedi 29 septembre 2018

Les billes du pachinko


















Les billes du pachinko, d'Élisa Shua Dusapin. - Zoé, 2018

Claire, une jeune femme d'origine coréenne, revient au Japon visiter ses grands-parents, qui tiennent un établissement de pachinko, version nippone de la machine à sous, entre flipper et bandit manchot. Elle tente de les convaincre de l'accompagner en Corée, où ils n'ont plus mis les pieds depuis plus de 50 ans. En attendant, elle donne des cours de français à Mieko, petite fille solitaire pour laquelle elle se prend d'une affection à la mesure de son propre désarroi.
"Le pachinko est un jeu collectif et solitaire" écrivait Roland Barthes dans L'empire des signes. Rien ne saurait mieux servir d'exergue à ce court roman de la franco-coréenne Élisa Shua Dusapin, où la question de l'autre est en effet cruciale. L'autre et, surtout, le moyen de lui parler. Claire a oublié ce qu'elle savait de coréen, sa grand-mère refuse de parler japonais et Mieko doit s'exprimer en français : personne ici ne se comprend tout à fait, chacune est obligée d'en passer par une autre langue que la sienne, qu'elle maîtrise mal. Les conversations achoppent dans une légère inadéquation qui donne au récit une tonalité diffuse, un peu flottante qui, paradoxalement, débouche malgré tout sur une forme de clarté. Entre une grand-mère qui perd légèrement la boule et une gamine qui dort dans une ancienne piscine d'hôtel, la jeune autrice n'en rajoute pas trop dans l'incongru et on lui en saura gré. Son Japon nous apparaît singulièrement terne, presque absent, à vrai dire, ou d'un exotisme à l'envers, à la façon de ce parc à thème un peu fatigué où Claire et Mieko s'en vont visiter une reconstitution du village de Heidi.
Littéralement couverte de lauriers pour son précédent Hiver à Sokcho (Zoé, 2016), Élisa Shua Dusapin ne s'endort pas dessus pour autant et rafle à nouveau la mise. Le pari était pourtant risqué : Dieu sait si le roman contemporain nous aura souvent fait le coup des trois générations de femmes !

[texte paru dans Le Matricule des anges]

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