lundi 10 septembre 2018

La ballade silencieuse de Jackson C. Frank


















La ballade silencieuse de Jackson C. Frank, de Thomas Giraud. - La contre-allée, 2018

Il n'y a pas que Bob Dylan et Leonard Cohen dans la vie. De Phil Ochs à Tim Hardin et Townes Van Zandt, De Karen Dalton à Judee Sill, la longue route du folksong américain est jonchée de perdants magnifiques et de guitares brisées. Jackson C. Frank fut de ces maudits. Auteur d'un unique album, produit par Paul Simon et forcément culte, le bonhomme ne parvint pas à transformer l'essai, disparut bientôt des radars et tomba dans une misère noire, sans cesser d'être repris par les meilleurs en manière de classique. 
Après avoir consacré un premier roman réussi au jeune Élysée Reclus (La contre-allée, 2016), Thomas Giraud se glisse aujourd'hui dans la peau martyrisée de cet illustre inconnu. Nous sommes dans le registre de l'exofiction, comme disent les jeunes, soit une forme de recréation où l'on n'hésite pas à prendre quelques libertés avec la biographie stricto sensu, pourvu que le besoin littéraire s'en fasse généralement sentir. Des libertés, Thomas Giraud s'en accorde sans doute, mais avec discrétion - une certaine modestie même, comme pour ne pas trop déranger le repos de ce grand tourmenté que fut Jackson C. Frank. Pour être un peu sèche, presque factuelle, parfois et, en tous cas, sans fioritures inutiles, son écriture n'en est peut-être au fond que plus empathique, en accord avec la timidité maladive du personnage, quand de plus grandes flamboyances de style auraient détoné. Nous sommes donc tout contre la scène, au plus près du chanteur et penchés sur ses failles, spectateurs invisibles et impuissants d'une descente aux enfers commencée dès l'enfance, par l'explosion d'une chaudière qui le laissa gravement brûlé et devait orienter sa vie entière. Une vie qui vole un peu la vedette à l'auteur, en l'occurrence, tant le sujet l'emporte parfois sur la forme. Mais, après tout, ce n'est que justice, et si, le livre refermé, l'on se jette plus spontanément sur YouTube que sur les Oeuvres complètes de Thomas Giraud, on peut supposer que son but est atteint.
Blues runs the game...

[texte paru dans Le Matricule des anges]


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