mardi 9 septembre 2014

Cleveland




















Harvey Pekar & Joseph Remnant Cleveland. – Çà et là, 2012. 

Cleveland n’est pas exactement la ville la plus sexy des Etats-Unis d’Amérique. Touchée de plein fouet par la désindustrialisation, elle a connu dès l’après-guerre un lent déclin économique et social, marqué par la ségrégation raciale et de violentes émeutes. Ce fut pourtant jadis un important centre industriel et culturel, au carrefour des Grands Lacs et du Mississipi, qui, encore actuellement, possède l’une des plus grandes bibliothèques et l’un des principaux musées du pays et dont l’orchestre symphonique jouit depuis toujours d’un très grand prestige international.
Harvey Pekar n’est pas non plus l’auteur le plus avenant de la bande dessinée américaine. Il en est pourtant l’un des plus sincères et des plus originaux même si, à la différence de sa ville natale, il n’a jamais tout à fait connu son heure de gloire. Né à Cleveland en 1939 d’une famille d’émigrés juifs polonais, il resta toute sa vie viscéralement attaché à la ville dont il entreprend ici de tracer un portrait intime qui sonne aussi bien comme une autobiographie. Observateur hors-pair, il met son talent de conteur au service de sa mémoire pour tracer le contour de Cleveland, dont il décrit minutieusement la vie de quartier au fil de ses déménagements et de ses recherches boulimiques dans les librairies d’occasion et les bibliothèques publiques, sans oublier d’évoquer ses rencontres les plus marquantes, dont celle d’un certain voisin qui s’avérera primordiale. Réunis par une commune passion du blues et du jazz,  Robert Crumb et Harvey Pekar avaient tout pour s’entendre, y compris une certaine misanthropie teintée d’inadéquation sociale qui en fait deux des plus grands marginaux de la bande dessinée. Harcelé par Pekar, Crumb ne se contentera pas de se laisser convaincre d’illustrer ses premiers scénarios : il l’introduira également au milieu des comics et aux différents dessinateurs qui, bon an mal an, firent de son American splendor un compendium de tout ce que l’underground comptait de styles et de tendances.
Celle qu’illustre ici le jeune Joseph Remnant semble directement héritée de Crumb et, peut-être mieux encore que celle du Maître, colle parfaitement au projet de Pekar, qui n’a pas toujours été si bien servi par ses illustrateurs. Tout en hachures à la fois nerveuses et précises, son style fait de cet ultime ouvrage une sorte de chant du cygne, mais alors d’un cygne à l’image de Cleveland et de son thuriféraire : légèrement crado, déplumé par les ans mais pas pour autant ramolli du bec.

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