mardi 9 septembre 2014

Les aigles de sang




















Valérie Mangin et Thierry Démarez, d’après l’œuvre de Jacques Martin. Alix senator. 1, Les aigles de sang. – Casterman, 2012. 

On avait laissé Alix en mauvaise posture, entre les mains d’un auteur un rien sénile entouré d’une armée de tâcherons à sa dévotion. Depuis des années, en gros depuis Les proies du volcan (1977), la série n’avait rien d’autre à proposer que l’éternelle réitération d’aventures de plus en plus paresseuses au fur et à mesure qu’elles se faisaient plus exotiques, au service de la seule documentation historique dont quelques chercheurs avaient un jour commis l’erreur de souligner la précision. Une pléthore d’assistants s’épuisaient à courir derrière un style qui se parodiait lui-même à force de raideur et d’inélégance, au service d’une série vidés de toute substance, loin, bien loin du trouble qu’elle avait pu susciter lorsqu’elle ne craignait pas de s’aventurer dans les domaines hantés du fantastique et d’un homo-érotisme en demi-teinte, d’une audace absolue pour l’époque. Bref, à lire les nouvelles aventures d’Alix, on ne pouvait que regretter les fastes vénéneux de La griffe noire, du Tombeau étrusque et du Dieu sauvage, ou bien le tragique du Dernier Spartiate et des Légions perdues.
Sans atteindre au niveau de ces chefs d’œuvres, c’est avec l’esprit qui les animait  que Valérie Mangin et Thierry Démarez tentent au moins de renouer, tout en se démarquant d’une forme de « ligne claire » devenue obsolète. Leur Alix a vieilli, il a suivi son destin logique de Gaulois acculturé et d’ami personnel de l’Empereur : il est devenu sénateur de cette Rome au sommet de sa puissance sous le règne d’Auguste. Père de deux adolescents (dont le fils de son compagnon Enak, qu’il a adopté), il est l’un des citoyens les plus en vue de la Cité, un sage à qui l’on confie des missions de confiance. Aussi, lorsque le grand pontife Marcus Aemilius Lepidus est assassiné dans d’étranges circonstances, est-ce à lui que l’Empereur confie une enquête discrète. Mais, loin de l’aveugler, la proximité avec le pouvoir ne le rend pas moins lucide quant aux ressorts de ce dernier : Auguste pourrait très bien avoir lui-même commandité ce meurtre…
En intégrant à la série un élément proprement politique qui lui manquait jusqu’alors, Valérie Mangin la fait définitivement basculer dans un registre adulte qui ravira ses plus anciens lecteurs et, surtout, les amateurs de la série Murena, de Dufaux et Delaby, dont le dessin de Thierry Démarez n’est pas sans rappeler le réalisme presque photographique.
Quoi que l’on puisse dire d’un premier épisode peut-être un peu trop rapide et elliptique, les auteurs n’en réussissent pas moins une belle et rare tentative de revivification dont bon nombre d’interminables séries auraient tout avantage à s’inspirer.

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