mardi 9 septembre 2014

Pepe


















Carlos Giménez Pepe. 1. – Les échappés, 2012 

Après L’hiver du dessinateur de Paco Roca (Rackham, 2012), qui racontait la fronde d’un groupe de dessinateurs barcelonais bien décidés à s’affranchir de leur patron pour monter leur propre journal, la bande dessinée espagnole semble décidément prête à accomplir le travail de mémoire qui lui manquait peut-être jusqu’ici pour accéder à une reconnaissance internationale pourtant bien méritée. Car, on l’ignore trop souvent, il n’aura pas manqué grand-chose à l’Espagne en ce domaine, en tout cas pas de dessinateurs. De Jesús Blasco à Fermin Solis, en passant par Enric Sió, Victor de la Fuente, A. H. Palacios, Florenci Clavé, Josep María Beà… autant de classiques et de « chevaliers du pinceau » dont on pourrait enfiler les noms comme une litanie s’ils n’avaient pour la plupart une saine horreur des curés.
Ce n’est pas la première fois que Carlos Giménez évoque cette ambiance à la fois studieuse et un peu folle des ateliers où des gens de tous horizons, pour la plupart très jeunes, se retrouvaient à gratter du papier pendant des heures  au bénéfice d’agences qui replaçaient leurs créations de manière le plus souvent anonyme en France ou en Angleterre.
On se souvient en particulier des Professionnels (intégrale reparue en 2012 chez Audie-Fluide glacial) où il racontait ses propres débuts de dessinateur à Barcelone dans les années 60. Avec Pepe, c’est une autre figure qu’il convoque, peut-être l’un des plus purs artistes qu’ait engendré l’art du tébéo, comme on nommait alors cette bande dessinée d’essence populaire, si propre à l’Espagne et on ne trouve chez nous l’équivalent que dans les petits formats dits  « de gare ».
Fils d’une pauvre couturière et pur produit du Barrio Chino, José Pepe Gonzalez  commence sa carrière professionnelle à 16 ans, lorsque ses portraits sont remarqués dans la vitrine d’un tailleur par la secrétaire de l’agence Selecciones illustradas de Josep Toutain, qui s’empresse de l’embaucher. Entièrement autodidacte, il s’affirme très vite comme un prodigieux dessinateur, élégant et intuitif, particulièrement à l’aise lorsqu’il s’agit de dessiner des personnages féminins, à tel point qu’on lui confie bientôt la majorité des couvertures des magazines du groupe. Lorsqu’il ne dessine pas, c’est un excentrique, comédien-né, capable de faire rire des salles entières avec ses imitations et un provocateur qui n’hésite pas à revendiquer son homosexualité dans un contexte qui pouvait alors lui valoir les pires ennuis. Lorsqu’il a fini de s’amuser, il peut également se révéler très égoïste et sans scrupules, comme en témoigne l’anecdote sur laquelle s’achève ce premier tome, dont on attend la suite avec impatience, tant le personnage et son époque sont évoqués avec bonheur.

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