Richard Thompson Cul de sac. – Delcourt, 2010-2012
Dans la famille Otterloop, je voudrais le fils aîné, Petey, préadolescent introverti, proto-neurasthénique et grand amateur de comics statiques, à la tête d’une collection déjà bien fournie de tics, phobies, allergies et autres troubles psycho-somatiques. Ou bien encore sa petite sœur Alice, comme le cyclone mais en plus drôle et avec quelques années de moins. Ajoutez-y des parents décontenancés, des voisins plus ou moins étranges, une grand-mère hargneuse et sa chienne géante, vous obtiendrez l’une des machines à sourire les plus efficaces et les plus attachantes de ces dernières années.
On l’avait pourtant bien cru mort, l’art du strip quotidien,
définitivement enterré sous les mauvaises nouvelles, son espace vital
inexorablement grignoté par les cours de la bourse, réduit à la portion congrue
- quelques centimètres carrés de moins en moins carrés, bouche-trou sursitaire pour
localier en mal de copie. On l’avait cru rabougri, mal vieilli, banalisé façon soap à coups de gags pas drôles,
condamné à recycler les mêmes sempiternelles vieilles recettes de la comédie
familiale : papa, maman, la bonne et moi… Eh bien l’on se trompait :
non seulement le comic-strip bouge
encore mais il s’avère encore capable de faire rire. Aurait-il donc un futur ?
En ce cas, il serait assez drôle qu’il s’appelle Cul de sac.
Sous ce titre (en français dans le texte) se cache l’un de
ces coins de banlieue comme il en existe des milliers aux Etats-Unis, faubourgs
résidentiels à l’usage des classes moyennes où des maisons presque semblables
s’alignent à perte de vue le long de pelouses soigneusement entretenues. Un
espace sans qualité, donc, comme une thébaïde de l’ennui où l’on rêverait pourtant
d’habiter soi-même tant l’humour, des Peanuts
à Calvin et Hobbes, y semble venir
aussi bien que l’hortensia. Cul de sac
n’est pas en reste, avec ses enfants névrosés mais enthousiastes qui,
lorsqu’ils ne sont pas occupés à dévorer les aventures de Little Parano, fabriquent des machines de siège géantes devant leur
porche.
Quoi qu’il en soit, la tentative n’était pas sans péril :
outre une visibilité éditoriale désormais réduite, venir après Charles Schulz
et Bill Watterson tout en paraissant marcher sur leurs brisées relevait a
priori d’une belle inconscience. Miracle ! L’héritier n’est pas marron, Richard
Thompson ne démérite en rien : un sens de la répartie à double, voire à triple
détente, un dessin joliment expressif sous des allures désinvoltes de crobard à
la va-vite, une vraie drôlerie, surtout, toujours toute en finesse et dénuée du
moindre cynisme et voilà comment l’on ressuscite un art prétendument défunt. Alors
qu’on se le dise : il y a des petits nouveaux dans le quartier et ce Cul de sac est décidément tout sauf une
impasse.
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