mardi 9 septembre 2014

Pepito




















Luciano Bottaro Pepito.1. - Cornélius, 2012.

Qui se souvient que bien avant d'être un biscuit au chocolat qui laisse du marron sur les doigts, Pepito fut d'abord un gentil petit pirate ? Nés sous la plume féconde du dessinateur italien Luciano Bottaro (1931-2006), Pepito, Ventempoupe, Crochette, Bec-de-fer et l'affreux gouverneur La Banane enchantèrent plusieurs générations de lecteurs de "petits formats", ces très populaires illustrés dont ils furent l'un des piliers depuis le début des années 50 jusqu'à leur quasi-complète disparition à la fin des années 70. Longtemps sous-estimés pour leur piètre qualité graphique et leurs récits stéréotypés, ces magazines font depuis quelques années l'objet d'une réévaluation dont la parution de ce très beau recueil chez l'un des principaux représentants de la nouvelle bande dessinée vient souligner la pertinence. Car Bottaro, à l'instar de ses maîtres Carl Barks ou Floyd Gottfredson, loin d'être un tâcheron voué à l'anonymat des bagnes de la production de masse, se révèle un auteur à part entière, déployant un univers d'une fantaisie débridée sous les allures trompeusement sages d'un graphisme à la Disney. Rétifs à toute autorité, toujours prêts à tourner toute forme de pouvoir en ridicule, ses joyeux pirates sont l'ultime expression d'une indiscipline et d'une gouaille toutes prolétaires, dont ses lecteurs, pour la plupart eux-mêmes issus des classes populaires, ne pouvaient que faire leur beurre entre un album des Pieds Nickelés et deux blagues de Toto. A l'instar de ces derniers, Pepito et ses amis réalisèrent l'exploit d'être à la fois parfaitement enfantins tout en ne prenant jamais leurs lecteurs pour des billes, ce que l'on ne saurait plus tout à fait dire de la plus grande partie de la production "jeunesse" actuelle, dont auteurs et éditeurs eurent un jour la mauvaise idée de s'aviser de ce qui est bon pour l'enfant. Nulle préoccupation de cet ordre chez Bottaro, où l'on se saoule et s'assomme sans vergogne et sans faire de sentiment, dans un esprit qui n'est pas sans rappeler la commedia dell'arte, son amoralisme, ses têtes à claques et ses outrances. Comme elle et, comme au fond toute expression d'une culture véritablement populaire, c'est à un certain état d'innocence que nous ramènent ces bandes dessinées, une innocence sans naïveté ni mièvrerie mais pourtant pas sans nostalgie. Cette même nostalgie qui, nourrissant nos curiosités, nous fera désormais regarder d'un autre œil certains recoins poussiéreux d'Emmaüs où il est encore possible de dénicher pareils trésors parmi les laissés-pour-compte de la critique.

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