Grégory Jarry et Otto
T. Village toxique. – Flblb, 2010.
La France est un grand pays,
dont l’élection divine ne fait aucun doute au regard de l’Histoire. Mère des
Arts et Patrie des Droits de l’Homme, il lui appartenait évidemment de porter
les lumières de la
Civilisation jusqu’aux plus sombres recoins de continents
déshérités, dont les indigènes, infiniment reconnaissants, s’empressèrent de
faire don de tous leurs biens à la République, qui fut bien obligée d’accepter pour
ne pas les vexer.
A l’heure
où l’on ose reparler du « rôle positif » de la colonisation et où le
« refus de la repentance » fait figure de courage politique, il est
toujours bon de redire ce que fut véritablement la politique coloniale de la France : une longue
suite de tueries, d’exactions, de spoliations et de magouilles en tous genres,
vaguement saupoudrée d’alibis humanistes.
Grégory
Jarry et Otto T. le rappellent avec humour et c’est encore meilleur. Membres
fondateurs des éditions Flblb, à Poitiers, ils imposent leur marque à cette Petite histoire en bande dessinée, toute
d’ironie féroce et de précision documentaire. Pour la raconter, ils ne
convoquent rien moins que le Général De Gaulle, baderne ventrue dont la bonne
conscience hypertrophiée ne recule devant aucun massacre et qui ne s’effacera
qu’au 4e tome, pour permettre à Mitterrand d’exposer lui-même les bonnes
blagues de la
Françafrique et du génocide rwandais.
Maintenir
un tel ton n’était pas gagné d’avance, tant on découvre une réalité qui dépasse
en indignité tout ce qu’on peut imaginer. Certes, la France ne fut pas la seule
à se tailler un empire à coup de mitrailleuse et de gaz moutarde, mais nos
politiques – de gauche comme de droite - ont toujours eu un talent particulier
pour le déni. Si les travaux d’historiens ne manquent évidemment pas, on ne
saurait être assez reconnaissant à nos duettistes de se livrer ici à un
véritable travail de vulgarisation, au sens le plus noble du terme. Toute en
finesse et jamais lourde, souvent tout simplement hilarante, leur démonstration
n’en laissse pas moins dans la bouche un léger goût de dégueulis, le même –
c’est curieux, que l’on éprouva naguère en entendant un ci-devant ministre des
affaires étrangères proposer d’apporter le savoir-faire répressifde la France en aide à certaine
dictature en difficulté. Ce qui n’était somme toute, on s’en convaincra à la
lecture de la série, qu’une façon assez normale d’avoir de la suite dans les
idées.
Avec Village toxique, le duo réédite cette
excellente recette dans un contexte plus local. En 1987, l’Etat, via Areva
projette d’ensevelir des déchets nucléaires dans le sous-sol de la Gâtine, dans les Deux-Sèvres.
Il doit aussitôt faire face à une levée de bouclier de la part de la
quasi-totalité de la population, unie pour une fois autour d’un seul mot
d’ordre : « Ni ici, ni ailleurs ». Au-delà du récit d’une lutte
exemplaire et victorieuse, c’est surtout d’une formidable leçon de démocratie
directe qu’il s’agit. Que l’on parvienne à se fédérer autour d’un but commun,
l’on s’aperçoit bien vite qu’il n’est peut-être pas si nécessaire de déléguer
son autorité que nos « représentants » se plaisent à le seriner tous
les quatre ou cinq ans.
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